10 chefs-d’œuvre de la nature morte
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Patrick AULNAS
La nature morte apparaît dès l’Antiquité. Ainsi, les fresques (Pêches et carafe d'eau, Herculanum, v. 50 av. J.C.) ou les mosaïques romaines (Grappe de raisin, 2e siècle, musée national du Bardo, Tunis) pouvaient comporter des éléments de nature morte. Mais c’est au 16e siècle que la nature morte devient un genre autonome.
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Pieter Aertsen
Étal de boucher avec la fuite en Égypte (1551)
Huile sur bois, 115,6 × 168,9 cm, North Carolina Museum of Art, Raleigh.
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La peinture occidentale se développe à partir du Moyen Âge en traitant des scènes religieuses. Il n’était pas envisageable à cette époque de faire d’un objet ordinaire un sujet pictural. Il faut attendre le 16e siècle pour que certains artistes hollandais osent inverser la scène représentée. La scène religieuse devient accessoire, la quotidienneté apparaît au premier plan. Les historiens de l’art appelleront par la suite ces tableaux des natures mortes inversées. Ce type de nature morte n’existe plus à partir du 17e siècle.
Pieter Aertsen est un des initiateurs du genre. Cet étal de boucher bien achalandé laisse apparaître en arrière-plan la scène de la fuite en Égypte de la Sainte Famille. Le roi Hérode Ier de Palestine, ayant appris la naissance à Bethléem du roi des Juifs, donne l’ordre de tuer tous les enfants de moins de deux ans se trouvant dans la ville. Prévenu par un songe, Joseph s’enfuit en Égypte avec l’enfant Jésus et sa mère Marie. Ils y resteront jusqu’à la mort d’Hérode. Aertsen représente ici la Vierge Marie donnant un morceau de pain à l’enfant d’un mendiant au cours de cette fuite.
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Jan Brueghel de Velours
Nature morte avec guirlande de fleurs et coupe (v. 1618)
Huile sur bois, 47,5 × 52,5 cm, Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles.
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Par son élégance presque maniériste Nature morte avec guirlande de fleurs et coupe est un chef-d’œuvre de la peinture du 17e siècle. La guirlande n’est pas associée ici à une image pieuse, ce qui constitue une originalité. Il s’agit probablement d’une couronne de mariée que l’artiste a placée en oblique contre une somptueuse coupe de vermeil. Sur la table sont éparpillés des bijoux évoquant l’évènement au cours duquel ils ont été portés.
La guirlande de fleurs est une création picturale pure qui ne peut avoir d’existence réelle du fait de l’extrême variété des plantes représentées. Le travail considérable de Brueghel nécessitait beaucoup de temps. Chaque fleur est représentée avec une précision extrême et les spécialistes les ont toutes identifiées.
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Francisco de Zurbarán
Nature morte avec cruches (v. 1650)
Huile sur toile, 46 × 84 cm, musée du Prado, Madrid.
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Au début du 17e siècle, Francisco de Zurbarán s’impose en peignant des scènes religieuses se rattachant au ténébrisme, caractérisé par un fond très sombre sur lequel se détache le sujet traité. Ses natures mortes, marquées par cette influence, possèdent une simplicité sculpturale qui bouleverse l’histoire du genre et préfigure les réalisations des artistes du siècle suivant, en particulier Chardin.
Zurbarán n’a pas choisi des objets somptuaires, mais deux plats en étain et quatre récipients courants à l’époque dans les milieux sociaux pouvant commander une œuvre d’art. Ces objets sont alignés sur une table ou une étagère en bois disparaissant dans l’arrière-plan noir. Les récipients n’ont cependant pas été choisis au hasard car chacun d’eux est une réussite esthétique remarquable provenant d’Andalousie.
Zurbarán s’attache à mettre en valeur ces beaux objets du quotidien par la lumière et le silence. Il reprend ici la formule ténébriste qui avait fait son succès dans sa jeunesse, lorsqu’il traitait des sujets religieux. La lumière venant de gauche fait émerger de la nuit les élégantes céramiques et la coupe en argent doré.
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Philippe de Champaigne
Vanité (v. 1671)
Huile sur bois, 28 × 37 cm, musée de Tessé, Le Mans.
Philippe de Champaigne est un peintre de scènes religieuses et un grand portraitiste. La nature morte est une rareté dans son œuvre. Mais il s’agit ici d’une vanité, type de nature morte qui s’était beaucoup développé en Hollande, en Flandre puis en France au début du 17e siècle. Philippe de Champaigne, d’origine flamande, proche de jansénistes, songe à la fin de vie à la vanité de notre vie terrestre et nous le signifie.
La vanité est en effet une nature morte allégorique. Elle symbolise la mort et la vacuité de l’existence humaine. Le sablier évoque l’inexorable écoulement du temps et la fleur dans le vase va se faner très vite. Quant à l’homme, il sera bientôt réduit à l’état de squelette. De façon sous-jacente, il faut entendre que seule la vie éternelle, promise par la religion, mérite d’être prise en considération.
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Jean-Siméon Chardin
Le gobelet d’argent (v. 1768)
Huile sur toile, 33 × 41 cm, musée du Louvre, Paris.
Admis à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1728 « dans le talent des animaux et des fruits », c’est-à-dire au niveau inférieur de la hiérarchie des genres, Jean-Siméon Chardin poursuivra toute sa vie l’art de la nature morte à côté des scènes de genre et des portraits.
Chardin porte un coup fatal à la nature morte symbolique des siècles antérieurs. La doxa artistique y voyant un genre mineur, les artistes investissaient leurs natures mortes d’intentions symboliques, comme pour s’excuser de peindre simplement quelques objets du quotidien. Chardin veut au contraire nous faire percevoir toute la beauté de ces objets. Les contraintes techniques du passé subsistent : lumière et matière doivent être transposées sur la toile. Mais l’objectif diffère : le peintre cherche désormais à nous transmettre son regard sur le monde. Qu’importe qu’il s’agisse de quelques fruits et d’un gobelet d’argent. Comme il l’a dit lui-même : « On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment. » Qu’un artiste regarde les objets ordinaires avec ses yeux d’artiste et les voilà transformés. La phrase s’applique à tous les arts. La vie ordinaire devient une œuvre d’art sous la plume d’un grand écrivain.
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Paul Cézanne
Pommes et oranges (v. 1899)
Huile sur toile, 74 × 93 cm, musée d’Orsay, Paris.
Dès le début de sa carrière, Paul Cézanne peint des natures mortes. Mais sur plusieurs décennies, l’évolution est importante. Pommes et oranges représente l’aboutissement de l’art de Cézanne dans ce domaine. L’analyse de l’espace intéressait particulièrement le peintre, considéré comme un pré-cubiste. Il rompt ici avec l’agencement traditionnel des objets, ceux-ci reposant sur une table qui penche vers nous. Cet équilibre précaire est associé au désordre des étoffes masquant la table et mettant en valeur les fruits. Leur rougeoiement se détache sur le fond blanc d’une nappe chiffonnée.
Le désordre organisé par l’artiste et le choix de l’instabilité apparente questionnent le spectateur. Les fruits devraient tomber mais ils sont visiblement stables. La perception subjective de l’espace remplace sa représentation géométrique ancienne et la perspective disparaît.
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Vincent van Gogh
Fritillaires, couronne impériale dans un vase de cuivre (1887)
Huile sur toile, 74 × 61 cm, musée d’Orsay, Paris.
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« Les fritillaires sont des plantes à bulbe qui, comme les tulipes, fleurissent au printemps. Il est donc aisé de déduire à quelle période de l'année Van Gogh a peint ce tableau. L'espèce qu'il représente est la fritillaire impériale, qui était cultivée dans les jardins français et hollandais à la fin du XIXe siècle. C'est une fleur d'un rouge-orangé à longue tige dont chaque bulbe produit trois à dix fleurs. Pour composer ce bouquet, Vincent n'a donc utilisé qu'un ou deux bulbes dont les fleurs coupées sont disposées dans un vase de cuivre.
Lorsqu'il réalise ce tableau, Vincent réside à Paris et entretient une relation étroite avec Paul Signac. Il n'est donc pas surprenant de constater que Van Gogh applique dans son œuvre quelques-uns des principes de la peinture néo-impressionniste dont Signac est l'un des représentants majeurs : la touche pointilliste est utilisée pour le fond du tableau et un contraste de couleurs complémentaires, bleu et orangé, domine la composition. Mais l'influence des théories néo-impressionnistes reste limitée. La touche divisée n'est utilisée que pour une surface déterminée, le jeu des couleurs complémentaires ne limite aucunement Van Gogh dans le choix des teintes, enfin, en choisissant une nature morte, il s'écarte des thèmes traités par Seurat et ses suiveurs.
Le peintre Emile Bernard rappellera plus tard que Vincent courtisait la Segatori, une italienne qui tenait un café nommé le Tambourin sur le boulevard de Clichy, en lui offrant des natures mortes de fleurs, "qui durent éternellement". Grâce à ces bouquets peints, tels que celui-ci, le Tambourin allait bientôt devenir un véritable jardin artificiel. » (Commentaire musée d’Orsay)
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Juan Gris
Journal et plateau de fruits (1916)
Huile sur toile, 92 × 60 cm, Yale University Art Gallery, New Haven, Connecticut.
Peintre espagnol comme Picasso, Gris produira une œuvre cubiste considérée par Salvador Dali comme supérieure à celle de Picasso. Ses natures mortes cubistes sont les plus abouties du genre. Le cubisme fut, au début du 20e siècle, la dernière étape vers la peinture abstraite occidentale.
Les cubistes ne cherchent plus de représenter le réel mais veulent créer un langage pictural autonome qui peut s’inspirer de la réalité observée ou s’en détacher pour aller vers l’abstraction. L’œuvre est alors un assemblage de formes ou de volumes avec un dessin très apparent et des effets de perspective obtenus par des ombrages.
Si le journal est clairement identifié sur cette nature morte, il faut lire le titre pour comprendre qu’elle comporte de fruits. Les fruits subjectifs de Juan Gris ne sont pas reconnaissables par autrui. Cela importe peu puisque l’agencement des formes géométriques et des couleurs est spontanément ressenti comme une réussite.
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Pierre Bonnard
Iris et lilas (1920)
Huile sur toile, 57 × 63 cm, Fondation Bemberg, Toulouse.
Les iris attirent les peintres par le contraste des couleurs et par l’ondulante élégance des feuilles, que Van Gogh avait mise en évidence en 1889 (Les Iris). Bonnard reprend largement de chromatisme de Van Gogh, en particulier les complémentaires jaune-violet. Mais alors que Van Gogh avait peint un parterre du jardin de l’asile d’aliénés (vocabulaire d’époque) de Saint-Rémy-de-Provence, Bonnard réalise une nature morte translucide qui n’est qu’un prétexte à un travail sur la couleur et la lumière. Celle-ci traverse les formes et leur procure une présence à la fois puissante et légère. L’un des plus grands coloristes du 20e siècle transpose à la nature morte le génie chromatique qui caractérise ses paysages.
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Ralph Goings
Nature morte aux poivrons (1981)
Huile sur toile, 132 × 96 cm, collection particulière.
L'art américain a toujours conservé une solide tradition réaliste. Edward Hopper est le plus connu des peintres de ce courant et peut être considéré comme l'un des précurseurs de l'hyperréalisme. Le peintre hyperréaliste utilise une ou plusieurs photographies comme point de départ de son travail. Il s'agit de reproduire la réalité photographiée avec une extrême minutie. L'artiste peut utiliser des agrandissements, une reproduction sur écran, un rétroprojecteur, pour analyser le détail du cliché. La reproduction d'une photo n'annihile pas la créativité car il est évidemment possible d'accentuer ou d'atténuer les effets d'ombre et de lumière, de modifier les couleurs, d'introduire de subtiles nuances, de jouer sur la profondeur de champ, etc. Il peut arriver qu'un peintre hyperréaliste ait besoin de plusieurs mois de travail quotidien pour achever un tableau.
Comme Hopper, Ralph Goings s’intéresse à la classe moyenne américaine et à sa désespérance. Il représente avec un souci extrême de perfection des intérieurs ou des extérieurs de fast-food et des natures mortes correspondant à la nourriture servie dans ces établissements. La quotidienneté devient une nouvelle fois œuvre d’art par le regard singulier de l’artiste. Mais la froideur de la représentation totalement lissée nous suggère que le bonheur n’est pas dans l’abondance.
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