Le surréalisme
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Patrick AULNAS
ENVIRON 1924-1966
Salvador Dali. Prémonition de la guerre civile (1936)
Huile sur toile, 110 x 84 cm, Museum of Art, Philadelphie
Analyse détaillée
Si l’on cherche à classer les courants artistiques en trois grands groupes, selon une dominante qui leur est propre, le surréalisme appartient au groupe qui s’intéresse à l’intériorité humaine, au moi. Rappelons (voir Panorama 20-21e siècles) que les deux autres groupes concernent respectivement la représentation de la réalité extérieure (paysages, natures mortes, scènes de genre, etc.) et l’expérimentation formelle ou matérielle (art non figuratif par exemple). Les dates indiquées ci-dessus n’ont qu’un caractère indicatif : 1924 correspond à la publication du premier Manifeste du surréalisme par André Breton et 1966 est l’année de la mort de Breton.
Freud et l’inconscient à la racine du surréalisme
Un courant artistique a en général des racines multiples. Cela est particulièrement vrai lorsque ce courant investit plusieurs disciplines, comme le surréalisme qui touche à la fois la littérature, la peinture, la musique et le cinéma. On peut cependant considérer que sans la théorie freudienne de l’inconscient le surréalisme n’aurait pu voir le jour. Les surréalistes, comme beaucoup d’intellectuels de l’époque, ont été fascinés par la pensée de Freud (1856-1939), qui analyse l’intériorité humaine en utilisant le concept d’inconscient. Selon Freud, il y aurait à la base même de notre personnalité, de façon inapparente, un ensemble psychique complexe qui se construit dès la naissance et s’élabore ensuite en fonction des rapports qu’entretient l’enfant avec ses semblables et en particulier ses parents. Freud insiste beaucoup sur l’importance du conflit et de la sexualité dans cette construction sous-jacente. L’inconscient déterminerait dans une large mesure notre personnalité et le type de rapports que nous entretenons avec autrui. La théorie freudienne conduit, sur le plan thérapeutique, à la psychanalyse.
Il est évidemment intéressant pour des artistes de faire émerger cet inconscient par l’écrit, l’image ou la musique. L’œuvre ainsi produite aurait une profondeur inédite puisqu’elle irait puiser son inspiration dans le soubassement même de notre personnalité.
Le premier artiste qui donne une définition du surréalisme est l’écrivain André Breton (1896-1966) : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière le fonctionnement réel de la pensée. » Bien entendu, pour André Breton le « fonctionnement réel de la pensée » ne se limite pas à la pensée consciente, mais inclut les rêves et tout ce que l’on peut faire émerger de l’inconscient. Mais comment déclencher cet « automatisme psychique pur » ? Pour les écrivains, « l’écriture automatique », c’est-à-dire sans réflexion et sans censure, devait faire apparaître les profondeurs du moi. Le sens de ce qui est ainsi produit importe peu. Les surréalistes se proposent également d’utiliser l’hypnose et les rêves. Freud cherchait à les interpréter. Pour un artiste, il s’agit seulement de les évoquer par l’écriture, les images ou la musique. Les peintres surréalistes ont expérimenté le dessin automatique, réalisé en aveugle et finalisé ensuite à la peinture. Mais il s’agit là d’une technique tout à fait accessoire. Certains surréalistes, en particulier Henri Michaux (1899-1984), sont même allés jusqu’à utiliser des drogues pour, soi-disant, établir une communication avec leur inconscient.
Pour les techniques utilisées par les peintres surréalistes, voir masmoulin.blog
Quel est le résultat de telles expériences dans le domaine de la peinture ? En général, il s’agit d’œuvres figuratives dans lesquelles la réalité que nous percevons consciemment fait l’objet d’un traitement onirique ou cauchemardesque. Les tableaux obtenus sont très liés à la personnalité profonde de leur créateur. Ainsi, les peintures de Max Ernst (1891-1976) et de Salvador Dali (1904-1984) représentent un monde étrange qui ne correspond pas à ce que la conscience perçoit de la réalité extérieure. Les objets sont déformés ou détournés de leur fonction initiale, des êtres hybrides peuvent apparaître, rappelant ceux de l’enfer de Jérôme Bosch (environ 1450-1516). L’inconscient des surréalistes est en effet plutôt inquiétant, conformément d’ailleurs à ce que prétendaient révéler de lui les théories freudiennes. Notre conscience est perçue comme une couche superficielle sous laquelle bouillonne un magma de conflits, de rêves, de frustrations, de pulsions. Les tableaux des peintres surréalistes fournissent une représentation visuelle de ce monde enfoui.
Max Ernst. Forêt (1927) |
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Max Ernst. Euclide (1945) |
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Max Ernst. Le jardin de France (1962) |
Il n'est pas interdit de penser que l'approche freudienne du moi ne constitue qu'un premier élément, assez empirique, de l'étude de notre inconscient. L'avenir, avec les neurosciences, ira sans doute dans une autre direction. Mais tout comme les croyances religieuses ont fait naître de grands chefs-d'œuvre dans les siècles passés, le surréalisme aboutit parfois à une peinture exceptionnelle lorsque l'artiste a vraiment quelque chose à nous communiquer et qu'il a bien adapté sa technique picturale au message à transmettre. C'est le cas de Salvador Dali, peintre prolifique et inégal, mais dont certaines œuvres ont une qualité picturale qui le font égaler les plus grands. Paradoxalement, Dali fut exclu du groupe des surréalistes par André Breton qui s'octroyait le rôle de gourou du mouvement, mais sa peinture est l'une des plus représentatives de ce courant.
Salvador Dali. Persistance de la mémoire (1931) |
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Salvador Dali. Nature morte vivante (1956) |
Les autres sources du surréalisme
Le mouvement dada ou dadaïsme constitue une première approche du surréalisme par son côté non conventionnel et contestataire. La fantaisie volontairement débridée des artistes se rattachant à ce mouvement préfigure les audaces futures des surréalistes. Certains peintres appartiendront aux deux courants : Francis Picabia (1879-1953) ou Max Ernst par exemple.
Francis Picabia. Sunrise (1924)
Encre sur papier, 31 x 24 cm, galerie Piltzer, Paris.
D'un point de vue politique, les surréalistes se situent très à gauche et beaucoup d'entre eux appartiendront, au moins un temps, au parti communiste. Il ne faut pas perdre de vue que la plupart des surréalistes étaient de jeunes hommes épris d'idéal qui avaient vécu le premier conflit mondial comme la manifestation de la sidérante bêtise des dirigeants. Le communisme, erreur historique majeure, leur apparaissait comme un recours possible. Beaucoup d'intellectuels de cette époque se sont laissés bernés par les promesses de lendemains qui chantent, en partie par besoin d'idéal, en partie par naïveté ou manque de culture politique, ce qui revient au même. Le marxisme leur offrait une base idéologique intellectuellement confortable et le parti communiste pouvait les utiliser pour contester ou ridiculiser la « société bourgeoise ». Au demeurant, au-delà de leur ingénuité politique, ou peut-être à cause d'elle, on ne peut que ressentir de l'empathie pour la révolte de jeunes artistes idéalistes contre le conservatisme étriqué d'une large partie de la bourgeoisie du début du 20e siècle, qui ne voyait l'avenir que comme la pérennisation de sa domination économique et politique.
La dimension poétique du surréalisme constitue un aspect essentiel du mouvement. En peinture, l'exploration de l'inconscient, de l'onirisme, de l'absurde, permet une liberté créative faisant naître presque inéluctablement des images provoquant l'émotion. L'intention poétique du peintre détermine la plastique de l'œuvre. Il ne s'agit pas de représenter le réel mais de susciter une émotion poétique par l'image.
Les principaux peintres surréalistes
Outre Ernst, Dali et Picabia, précités, le belge René Magritte (1898-1967) joue sur les mots et leur signification avec un style très simple proche de la peinture naïve. L'exemple emblématique est celui du tableau La trahison des images (ci-dessous) comportant la phrase « Ceci n'est pas une pipe ». Il s'agit de la représentation d'une pipe : naïveté feinte et humour. Mais la peinture de Magritte a aussi des qualités poétiques et décoratives qui expliquent sans doute la célébrité de ce grand peintre du 20e siècle.
René Magritte. Intermission (1928) |
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René Magritte. La trahison des images (1929) |
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René Magritte. Méditation (1936) |
L'espagnol Joan Mirò (1893-1983) est un des très grands peintres du 20e siècle, dont l'œuvre traverse successivement les principaux courants artistiques de l'époque (postimpressionnisme, fauvisme, cubisme, surréalisme, réalisme). Il est aussi sculpteur, graveur et céramiste.
Mirò. Baignade de femme (1925) |
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Mirò. Aidez l'Espagne (1937) |
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Mirò. Femmes et oiseaux au lever du soleil (1946) |
Pas plus que Mirò, son compatriote Pablo Picasso (1881-1973) ne se laisse enfermer dans un mouvement ou une école. Son génie créatif lui permet de s'exprimer de multiples façons. Aussi, certaines œuvres de Picasso peuvent être rattachées au surréalisme mais sont parfois à la confluence de plusieurs courants artistiques. Le célèbre Guernica, par exemple, emprunte au cubisme et au surréalisme.
Picasso. Tête (1938)
Collage , gouache sur papier, 65 x 54 cm, collection particulière
Picasso. Grand nu au fauteuil rouge (1929) |
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Picasso. Le rêve (1932) |
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Picasso. La muse (1935) |
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Picasso. Guernica (1937) |
De nombreux artistes ont été influencés par cet important mouvement artistique. Citons l'autrichien Wolfgang Paalen qui utilise la technique du fumage pour réaliser des tableaux tout à fait saisissants comme Combat des princes saturniens III (1939). Le fumage consiste à utiliser les traces de fumée produites par une bougie ou une lampe à pétrole sur une feuille de papier ou une toile fraîchement peinte.
Wolfgang Paalen. Combat des princes saturniens III (1939)
Huile sur toile, 99,1 × 73,7 cm, collection particulière
En Angleterre, Lucian Freud (1922-2011), Francis Bacon (1909-1992), Conroy Maddox (1912-2005), entre autres, furent influencés par le surréalisme.
Conroy Maddox. passage de l'opéra (1970-71) |
L'influence du surréalisme
Jusqu'à la seconde moitié du 20e siècle les peintres surréalistes vont poursuivre leur œuvre. Ensuite, l'influence du surréalisme pictural peut être appréciée de façon latente dans de nombreux domaines : l'affiche, la décoration, le cinéma, la télévision, internet. Ce mouvement a induit un état d'esprit nouveau comportant un regard moins immédiatement rationnel et sans doute moins superficiel sur le mental des humains. La spontanéité créative, à la manière des enfants, l'expression des pulsions irrationnelles, une grande fantaisie et une totale liberté d'expression sont désormais admises. On peut considérer le surréalisme comme un mouvement libérateur qui autorise ce qui auparavant aurait choqué, comme d'ailleurs a choqué les contemporains la théorie freudienne mettant en relation notre psychisme et la sexualité. Le surréalisme est un exemple de la capacité des artistes à transmettre par l'émotion esthétique les innovations conceptuelles d'une époque et ainsi à propager un nouveau regard sur le monde.
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