Le dadaïsme

 
 

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Patrick AULNAS

ENVIRON 1916-1924

 Picabia. L'Œil cacodylate (1921)Picabia. L'Œil cacodylate (1921)
Huile et photocollage sur tissus, 148,5 × 117,5 cm
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Cacodylate : « Dérivé arsenical (diméthylarsinate de sodium) qui était utilisé en injections sous-cutanées dans le traitement des asthénies. » (Larousse en ligne)

 

1. Origine du mouvement

Le mouvement Dada naît en 1916 et se veut contestataire. Il rejette les conventions esthétiques anciennes et cherche à remettre en cause la notion même d’œuvre d’art. Il s’agit à la fois d’un mouvement littéraire et artistique qui n’aura qu’une durée de vie très brève puisqu’à partir de 1924 le surréalisme prend sa suite avec un arrière-plan intellectuel plus structuré (Freud et l’inconscient, André Breton, le penseur du groupe).

Le mouvement Dada est fondé en 1916 à Zurich (Suisse) où se sont regroupés des artistes fuyant la guerre de 1914-1918. Il s’agit de poètes ou d’écrivains comme Hugo Ball (1886-1927), Richard Huelsenbeck (1892-1974), Tristan Tzara (1896-1963) ou de peintres comme Jean Arp (1886-1966) et Marcel Janco (1895-1984). Ils transforment une ancienne taverne de Zurich en une sorte de café littéraire baptisé Cabaret Voltaire. Agés de vingt à trente ans à l’époque, ces artistes sont scandalisés par le déclenchement de la guerre et veulent rompre non seulement avec l’art traditionnel mais également avec l’esprit de la société dite bourgeoise. Ils se veulent totalement irrespectueux des conventions en vigueur et cherchent à provoquer pour faire réagir. Hugo Ball  proclame : « Ce que nous appelons dada est une bouffonnerie issue du néant. »

Le nom donné à leur mouvement constitue une première provocation qui n’est sans doute pas étrangère au succès qu’il rencontra par la suite. La tradition veut que le mot ait été découvert de façon... dadaïste. Au Cabaret Voltaire, où s’était réuni le groupe, on ouvrit un dictionnaire au hasard et on lança un coupe-papier sur la page : celui-ci désigna le mot dada.

 

 Raoul Hausmann. Le critique d'art (v. 1919)Raoul Hausmann. Le critique d'art (v. 1919)
Lithographie et photocollage sur papier, 32 × 25,5 cm, Tate Gallery, Londres

 

2. Un mouvement cherchant à provoquer

Le mouvement va essaimer dans les grandes villes du monde occidental, d’abord en Allemagne (Berlin, Hanovre, Cologne) puis à Paris et à New York. Le groupe d’origine s’étoffe peu à peu avec les peintres Raoul Hausmann (1886-1971), George Grosz (1893-1959), Max Ernst (1891-1976), Marcel Duchamp (1887-1968), Francis Picabia (1879-1953) et beaucoup d’autres.

La production artistique du dadaïsme était dite « d’avant-garde ». Elle avait donc pour ambition d’aller au-delà de ce qui se faisait jusqu’alors. Mais si l’on peut se penser très subversif, on ne peut guère qu’utiliser ce qui existe pour manifester cet état d’esprit. Aussi, les peintres dada empruntent-il au cubisme les techniques du collage et au futurisme un goût de la provocation et une certaine fascination-répulsion pour la machine, souvent représentée sous forme imaginaire.

 

 Francis Picabia. Machine à transformer rapidement (1916)Picabia. Machine à transformer rapidement (1916)
Tempera sur papier, 49 × 32 cm, collection privée

 

 

Picabia. Parade amoureuse (1917)Picabia. Parade amoureuse (1917)
Huile sur carton, 72 × 95 cm, collection privée

 

Marcel Duchamp pousse la provocation de style carabin un peu plus loin en proposant comme œuvres d'art des objets de la vie courante, à peine modifiés. Ainsi, un urinoir, mis à l'envers et intitulé Fontaine, est exposé à New York après avoir été avalisé par la Société des Artistes indépendants de la ville. La photographie du chef-d'oeuvre figure désormais dans certaines histoires de l'art. Duchamp récidivera avec divers ustensiles. Ces objets ordinaires, mis en scène sous forme d'œuvres d'art, sont qualifiés de ready-made. Il s'agit évidemment de nous signifier, un peu lourdement, que quelqu'un décide du statut d'œuvre d'art de tel ou tel objet. Par ailleurs, l'objet d'art traditionnel (le tableau, la statue) est désacralisé puisqu'un créateur peut consacrer comme artistique les objets les plus banals.

 

 Marcel Duchamp. LHOOQ Joconde avec moustache (1919)Marcel Duchamp. LHOOQ Joconde avec moustache (1919)
Crayon, ready-made, 19,7 × 12,4 cm, Phililadelpia Museum of Art, Philadelphie
LHOOQ est à la fois un homophone du mot anglais look et un allographe que l'on peut prononcer « elle a chaud au cul ». (Wikipédia)

 

3. La fréquente surévaluation du dadaïsme

Les jugements portés par les spécialistes sur ce mouvement sont bien souvent imprégnés d'une idéologie simpliste, comme par exemple celui-ci : « En privilégiant l'absurde, dada sape la croyance naïve en l'efficacité de la raison et de la science. » Ou encore, du même auteur : « En Europe, dada s'attaquait à la fonction et à la valeur culturelle de l'art ; Duchamp, lui, s'interroge sur ce qui constitue une œuvre d'art ; il sape les notions de valeur matérielle au sein d'une société profondément matérialiste. » (1) Ou encore, en parlant de l'attitude du mouvement à l'égard du public : « Non sans duplicité, il l'attire, le flatte pour lui asséner les coups les plus vigoureux et détruire ses plus chères illusions, accouchant de l'homme nouveau dans la douleur, faisant table rase du passé. » (2)

Sans doute ces citations correspondent-elles bien au projet dadaïste entre 1916 et 1924. Mais il convient de préciser, pour éviter toute méprise, qu’il s’agissait de l’ambition courageuse mais pleine d’ingénuité de jeunes hommes sortant de l’adolescence. Deux remarques doivent équilibrer le jugement.

  • Le 20e siècle a connu un progrès scientifique, technologique, économique, donc bien évidemment matériel, sans précédent dans l’Histoire. Celui-ci a profité à des centaines de millions d’êtres humains en améliorant leurs conditions de vie. L’attitude contestataire de quelques jeunes artistes n’a rien changé à cette évolution historique. Un groupe de quelques artistes n’a aucun poids pour « saper » le pouvoir de la raison et de la science qui déterminent largement notre devenir historique. Il n’y a rien de naïf à croire à la science et à la raison, comme il n’y a rien de naïf à croire à l’art et à l’émotion. Ces sont les deux versants de notre intelligence ; ils constituent notre singularité, notre grandeur.

  • Le mouvement Dada, puis surréaliste, était constitué de jeunes gens d’origine bourgeoise, contestant les valeurs de leur milieu à une époque (l’entre-deux guerre et la montée du fascisme et du nazisme) où il fallait du courage pour adopter une telle attitude. Ils ont sans doute influé sur la conception que nous avons aujourd’hui de l’art. Mais un siècle après le début de ce mouvement, il apparaît clairement qu’il n’y a rien de comparable entre les chefs-d’œuvre de la Renaissance et les ready-made de Duchamp. La raison en est simple et évidente : d’un côté, il y a l’esprit humain qui cherche passionnément le beau (ce qu’il ressent comme beau) et qui le crée, de l’autre l’esprit humain qui tourne en dérision ce à quoi croyaient les hommes d’hier. La création d’un côté, la négation de l’autre. La faiblesse, voire l’inutilité de toutes les révolutions (chacun jugera) se situe exactement là. Saper des normes éthiques, esthétiques, sociétales ne peut conduire qu’à les remplacer par d’autres normes qui, après la phase de remise en cause, puisent largement dans le passé. On ne réinvente pas le monde, on le construit pierre après pierre.
    Dada est donc davantage la révolte compréhensible d'un groupe d'adolescents qu'un bouleversement complet des valeurs. Après avoir contesté le passé, il faut construire l'avenir : nous y sommes encore dans le domaine artistique. D’ailleurs Tristan Tzara, peu avant sa mort en 1963, rappelait cet idéalisme : « Dada n'était pas seulement l'absurde, pas seulement une blague, dada était l'expression d'une très forte douleur des adolescents, née pendant la guerre de 1914. Ce que nous voulions c'était faire table rase des valeurs en cours, mais, au profit, justement des valeurs humaines les plus hautes. »

 

 

Max Ernst. Pléiades (1920)Max Ernst. Pléiades (1920)
Collage sur papier, 25 × 18 cm, collection privée

 

 

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(1) Tout sur l'art, Editions Flammarion, 2010, article Dada, p. 410 par Larry McGinity.
(2) Encyclopédie Larousse en ligne, article Mouvement dada

 

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Picabia

Marcel Duchamp

Commentaires

  • MJ Nain
    • 1. MJ Nain Le 11/08/2023
    j'apprécie enormément votre effort
  • philippe
    • 2. philippe Le 19/12/2017
    Merci pour tous ces renseignements. J'apprends énormément.
    Philippe
  • lara
    • 3. lara Le 26/11/2016
    bcp aimé franchement BRAVO
  • gil 2 lerins
    la frontière entre dadaïsme, surréalisme, cubisme et plus tard pop-art est floue. Comme un fondu enchaîné, ne voyant ni le début, ni la fin.
    A vrai dire pouvons-nous mettre une étiquette. Tout est art ou arnaque ? Artiste novateur où est-tu dans le désert ?
  • slt
    • 5. slt Le 05/10/2015
    j'aime votre travail, bravo

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