Sébastien Bourdon. Moïse sauvé des eaux (1655-60)
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Patrick AULNAS
Sébastien Bourdon était considéré dans la seconde moitié du 17e siècle comme l’un des peintres majeurs du classicisme français. Il fut l’un des douze membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Exceptionnellement doué, il est capable d’aborder tous les genres avec bonheur. Ses paysages, plus encore que ceux de Poussin, structurent géométriquement l’espace comme s’il voulait en extraire la quintessence formelle.
Sébastien Bourdon. Moïse sauvé des eaux (1655-60)
Huile sur toile, 119,6 × 172,8 cm, National Gallery of Art, Washington
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
L’épisode biblique
Il figure dans l’Ancien Testament, Pentateuque, Exode 2. Le pharaon ayant donné l’ordre d’éliminer tous les nouveau-nés mâles du peuple hébreu, la mère de Moïse cache l’enfant durant trois mois puis l’abandonne dans une corbeille sur le Nil, près de la rive. La fille du pharaon qui se baignait avec des courtisanes, trouve l’enfant et décide de l’adopter.
Le texte biblique est le suivant :
Un homme de la tribu de Lévi épousa une fille de la même tribu. Elle devint enceinte et donna le jour à un fils. Elle vit que c’était un beau bébé et le cacha pendant trois mois. Quand elle ne parvint plus à le tenir caché, elle prit une corbeille en papyrus, l’enduisit d’asphalte et de poix et y plaça le petit garçon. Puis elle déposa la corbeille au milieu des joncs sur la rive du Nil. La sœur de l’enfant se posta à quelque distance pour voir ce qu’il en adviendrait.
Peu après, la fille du pharaon descendit sur les bords du fleuve pour s’y baigner. Ses suivantes se promenaient sur la berge le long du Nil. Elle aperçut la corbeille au milieu des joncs et la fit chercher par sa servante. Elle l’ouvrit et vit l’enfant : c’était un petit garçon qui pleurait. Elle eut pitié de lui et dit : C’est un petit des Hébreux.
Alors la sœur de l’enfant s’approcha et dit à la fille du pharaon: Veux-tu que j’aille te chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux pour qu’elle t’allaite cet enfant?
La fille du pharaon lui dit : Va!
La jeune fille alla donc chercher la mère de l’enfant.
La princesse lui dit : Emmène cet enfant et allaite-le pour moi. Je te paierai un salaire.
La femme prit l’enfant et l’allaita. Quand il eut grandi, elle l’amena à la fille du pharaon. Celle-ci l’adopta comme son fils et lui donna le nom de Moïse (Sorti), car, dit-elle, je l’ai sorti de l’eau.
A partir du 16e siècle, et jusqu’au 19e siècle, ce thème inspire les peintres. Poussin traite le sujet en 1647 (voir ci-après, autres compositions). Le tableau de Bourdon présente beaucoup de similitudes avec celui de Poussin.
Analyse de l’œuvre
Sébastien Bourdon eut une jeunesse itinérante à travers la France. Puis il fit un séjour de trois ans à Rome, entre 1634 et 1637, où il fréquenta Nicolas Poussin et Claude Lorrain. Leur influence fut déterminante. Au début de la décennie 1650, il réside en Suède et se consacre à des portraits de la reine Christine et de l’aristocratie locale. Lorsqu’il réalise Moïse sauvé des eaux, il a entre quarante et quarante-cinq ans et s’est fixé à Paris où il mourra en 1671.
Bourdon place les personnages de l’épisode biblique au premier plan : au centre, la fille du pharaon, vêtue de jaune, accompagnée de ses suivantes. Un serviteur porte la corbeille où se trouve l’enfant, qu’il vient d’extraire d’un massif de joncs. Toutes ces figures sont alignées le long du Nil et forment une frise, comme sur les bas-reliefs des sculptures antiques.
Les vêtements ne respectent en rien la réalité historique. Les femmes égyptiennes de l’Antiquité portaient des robes longues et étroites. Bourdon adapte vaguement le costume féminin du 17e siècle en affublant ses personnages de robes amples aux multiples plis. Les peintres occidentaux ne disposaient pas des connaissances historiques permettant de reconstituer la mode antique. Depuis le 15e siècle, ils utilisent donc systématiquement une adaptation des vêtements de leur époque. Cette pratique leur permet d’aligner la représentation sur l’imaginaire et la sensibilité de leurs contemporains. Les multiples épaisseurs d’étoffe associées aux gestes dignes et plein de retenue des personnages correspondent à l’idéal esthétique du 17e siècle français.
Sébastien Bourdon. Moïse sauvé des eaux, détail
La composition de Moïse sauvé des eaux comporte trois plans horizontaux nettement inspirés du tableau de Poussin : les personnages au premier plan, le fleuve et la rive opposée au second plan, puis le ciel à l’arrière-plan. Bourdon accentue la géométrisation par des blocs de pierres et des éléments architecturaux. Les nuages eux-mêmes se découpent en lignes brisées sur le ciel.
Sébastien Bourdon. Moïse sauvé des eaux, détail : la géométrisation du paysage
Cette volonté de soumettre le paysage aux impératifs de la raison correspond aux exigences de l’académisme classique français. Bourdon va plus loin que Poussin dans cette direction en multipliant les figures géométriques simples (rectangles, carrés, triangles, etc.) utilisées pour traiter les bâtiments, donnant ainsi à son tableau un aspect précubiste.
Le jeu des couleurs doit également beaucoup à Poussin. Le paysage, servant de décor à la scène principale, reste tout en retenue, les couleurs vives étant réservées aux vêtements et concentrées au premier plan.
Autres compositions sur le même thème
Cet épisode biblique est traité du Moyen Âge au début du 20e siècle. Aux 15e et 16e siècles, les peintres placent la scène dans le paysage qui leur est familier (l’Italie pour la Renaissance italienne). Au 17e siècle, ils tentent de reconstituer un paysage antique selon la perception de leur époque. A partir du 18e siècle, commencent à apparaître des aspects orientalisants. Ils se développent au 19e avec le courant orientaliste qui permet de dénuder les figures féminines.
Véronèse. Moïse sauvé des eaux (v. 1581) Huile sur toile, 119 × 115 cm, musée des Beaux-arts de Lyon. |
Laurent de la Hyre. Moïse sauvé des eaux (1647-50) Huile sur toile, 70 × 89,5 cm, Detroit Institute of Art. |
Nicolas Poussin. Moïse sauvé des eaux (1647) Huile sur toile, 120 × 195 cm, musée du Louvre, Paris. |
Giambattista Tiepolo. La découverte de Moïse (v. 1730) Huile sur toile, 202 × 342 cm, National Gallery of Scotland, Edimbourg. |
Frederick Goodall. La découverte de Moïse (1885) Huile sur toile, 244 × 183 cm, Auckland Art Gallery, Nouvelle-Zélande. |
Edwin Long. La fille du pharaon (v. 1886) Huile sur toile, 196,7 × 276,8 cm, Bristol Museum & Art Gallery, England. |
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