Maurice Quentin de la Tour. Portrait de la marquise de Pompadour (1752-55)
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Patrick AULNAS
Maurice Quentin de la Tour (Delatour selon l’état civil) est le plus grand pastelliste du 18e siècle. Né en 1704, il se trouve en apprentissage à Paris chez le peintre Claude Dupouch lorsque la vénitienne Rosalba Carriera fait un séjour dans la capitale française en 1720-21. Les portraits au pastel de Rosalba Carriera connaissent un succès considérable dans l’aristocratie parisienne et impressionnent le jeune Delatour qui va se mettre à étudier cette technique. En 1735-36, il réalise un portrait de Voltaire (aujourd’hui perdu) qui le rend célèbre. Maurice Quentin de la Tour devient alors en quelques années l’un des grands portraitistes du règne de Louis XV (1710-1774).
Maurice Quentin de la Tour. Portrait en pied de la marquise de Pompadour (1752-55)
Pastel sur papier gris-bleuté collé sur châssis entoilé, 175 × 128 cm, musée du Louvre, Paris.
Image HD sur MUSÉE DU LOUVRE
Qui est la marquise de Pompadour ?
Jeanne-Antoinette Poisson (1721-1764), future marquise de Pompadour, est la fille de François Poisson et de Louise-Madeleine de la Motte. François Poisson exerce des activités commerciales diverses, mais en 1725 il est accusé de vente frauduleuse et s’exile en Allemagne. Jeanne-Antoinette est confiée au couvent des Ursulines de Poissy en 1727 et y restera jusqu’à 1730. Louise-Madeleine de la Motte devient la maîtresse du riche fermier général Charles Le Normant de Tournehem, qui est aussi un amateur d’art. Le Normant va offrir à Jeanne-Antoinette une excellente éducation artistique : musique, dessin, peinture, danse. Louise-Madeleine de la Motte fréquentant les salons littéraires parisiens, sa fille découvre également la conversation brillante et l’esprit, très valorisé dans l’aristocratie du 18e siècle.
En 1741, Jeanne-Antoinette épouse le neveu de Charles Le Normant de Tournehem, Charles-Guillaume Le Normant d’Étiolles. Le couple a une fille, Alexandrine, en 1744. L’oncle Charles a fait don à son neveu de l’un de ses châteaux situé à Étiolles, à environ 25 km de Paris. Le roi vient fréquemment chasser dans la forêt de Sénart où se trouve le domaine de Le Normant d’Étiolles et Jeanne-Antoinette peut assister en calèche aux passages du roi. Celui-ci la remarque au cours de l’été 1743. Il faudra encore quelques stratagèmes de la part de l’entourage de Jeanne-Antoinette pour qu’elle devienne en 1745 la maîtresse en titre du roi. Le souverain lui accorde le titre de marquise de Pompadour et une importante rente qui lui permettra d’acquérir plusieurs châteaux, dont l’actuel palais de l’Élysée.
Louis XV n’avait pas choisi n’importe qui. Très belle, intelligente, cultivée, la marquise de Pompadour surpassait la plupart des courtisanes. Tant et si bien que lorsqu’elle cesse d’être la maîtresse du roi en 1751, celui-ci ne peut se passer d’elle. Elle reste l’amie et la confidente du souverain et reste à Versailles. Ultime privilège, alors qu’un courtisan ne doit pas mourir dans le lieu où réside le roi, elle décède au château de Versailles en 1764. Elle n’a que 42 ans.
Analyse du Portrait de la marquise de Pompadour de Maurice Quentin de la Tour
Une protectrice des arts et des lettres
L’artiste propose de son modèle une image de raffinement et de culture. Vêtue d’une somptueuse robe à la française, la marquise apparaît entourée d’objets d’art et de livres. Elle souhaite donc marquer sa connivence avec l’élite intellectuelle de son siècle et, par conséquent, se distinguer des courtisanes ordinaires pour lesquelles les Lumières représentaient un danger. Ce portrait presque politique d’un personnage controversé de l’histoire de France reflète cependant une réalité : Jeanne-Antoinette a reçu une éducation soignée et s’est toujours intéressée à la vie culturelle. Au Château d’Étiolles, lorsqu’elle vivait avec son mari, elle avait fait construire un petit théâtre où elle donnait des représentations à des proches. Auprès du roi ensuite, elle défend les philosophes et en particulier Voltaire, dont l’athéisme était incompatible avec une monarchie de droit divin. Le Parlement de Paris ayant interdit la publication des premiers volumes de l’Encyclopédie, elle agit en faveur de l’ouvrage et soutient Diderot et D’Alembert.
Le portrait de Quentin de la Tour présente ainsi la marquise véritable, ou du moins un des aspects les plus importants pour elle de sa personnalité.
Quentin de la Tour. La marquise de Pompadour, détail
Un chef-d’œuvre du pastel
Un tableau au pastel de cette dimension constitue une prouesse. La commande a été passée entre 1748 et 1751 et le portrait ne sera achevé qu’en 1755. Quentin de la Tour y travaille donc pendant plusieurs années. Seul le visage a été saisi au pastel d’après nature sous forme de trois esquisses préparatoires. Le reste est une composition en atelier. Cette composition est d’ailleurs parfaitement équilibrée, conformément aux critères académiques de l’époque. Le peintre représente la marquise assise dans un fauteuil, ce qui lui permet d’obtenir un motif central approximativement pyramidal, l’axe de la pyramide passant par l’œil gauche du personnage et constituant la médiane du tableau. Cette pyramide a pour socle un tapis dont les motifs sont destinés à donner de la profondeur au tableau, technique utilisée couramment depuis le 15e siècle pour produire un effet de perspective.
Le peintre a su imprimer à sa composition douceur et élégance. En suivant le regard pensif de la marquise, nous découvrons vers la gauche les courbes des fauteuils rococo et les plis de la tenture. A droite, la patine des motifs décoratifs de la table a été mise en évidence. De la Tour a particulièrement soigné la robe, dite à la française, reflétant la mode adoptée par la haute aristocratie parisienne de l’époque en dehors des cérémonies officielles. Formée d’un corsage au décolleté carré et d’une jupe large portée sur des paniers, cette robe comporte également une traîne à l’arrière que l’on aperçoit sur la gauche avec l’étoffe qui s’étale sur le tapis. L’effet satiné, les plis et le tombé du tissu de soie ont été particulièrement travaillés et les motifs tissés en relief mis en évidence : feuillage doré, rameaux bleus et petites fleurs roses. Pour obtenir ces effets, une maîtrise exceptionnelle du pastel est nécessaire mais aussi un travail considérable et d’une extrême minutie.
Quentin de la Tour. La marquise de Pompadour, détail
Quentin de la Tour a eu le génie d’adopter une sobriété chromatique très académique mais qui donne une élégance rare à son œuvre. Il allie principalement les nuances de bleu, d’ocre et d’or. Travaillant sur un papier bleuté, il choisit de maintenir un arrière-plan bleu, même pour le paysage placé derrière la marquise. Les dorures des meubles, des livres et de la robe s’harmonisent parfaitement avec ce bleu profond. Au 18e siècle, d’ailleurs, ces couleurs officialisaient en quelque sorte le portrait car elles étaient proches du drapeau à fleurs de lys des rois de France. Un bleu plus pâle est utilisé pour la couverture de la partition, les tapisseries des fauteuils et les rubans du carton à dessin. Des nuances de bleu parsèment la robe.
Un portrait novateur
Madame de Pompadour n’a pas demandé au peintre un portrait officiel visant à représenter prestige, pouvoir et richesse. Le traditionnel portrait d’apparat ne l’intéressait pas. Elle a voulu paraître comme une femme cultivée de son siècle, dans son cadre domestique, sans bijoux mais entourée de témoignages de ses centres d’intérêt. De la Tour a parfaitement répondu au souhait de sa commanditaire, qui devait rester assez vague et qu’il appartenait à l’artiste d’interpréter.
Quentin de la Tour. La marquise de Pompadour, détail
Il y a certainement une part de provocation dans le choix des titres représentés : Pastor Fido (Le berger fidèle), tragi-comédie de Giovanni Battista Guarini (1538-1612), La Henriade, poème de Voltaire (1694-1778) à la gloire d’Henri IV et de la tolérance, De l’esprit des lois, essai de philosophie politique de Montesquieu (1689-1755) et le tome IV de L’Encyclopédie de Diderot (1713-1784) et D’Alembert (1717-1783), ouvrage interdit de publication en 1752. La marquise, ancienne maîtresse du roi, se présente ainsi en alliée des philosophes des Lumières. Elle veut léguer une image d’elle-même plus proche sans doute de ce qu’elle était devenue à l’âge de réalisation du portrait, même si ses choix déplaisent à Louis XV qui reste son ami.
Quentin de la Tour. La marquise de Pompadour, détail
Outre le théâtre et la philosophie, la marquise veut montrer qu’elle s’intéresse à la peinture, avec le carton à dessin posé au sol, et à la musique, avec la partition qu’elle feuillette et la guitare baroque posée sur le fauteuil.
La femme cultivée et sensible, à l’esprit ouvert sur l’avenir, remplace donc ici l’épouse obéissante et pieuse qui constituait le modèle emblématique du portrait féminin jusqu’au 17e siècle. Le portrait de Quentin de la Tour marque donc une étape. Dans le courant du 18e siècle, Jean-Marc Nattier ou François Boucher (voir ci-après) avait déporté le portrait féminin vers la légèreté, voire la futilité. Quentin de la Tour, avec la complicité de Madame de Pompadour, donne de la femme une image novatrice en alliant beauté et intelligence.
Autres portraits de la marquise de Pompadour
Jean-Marc Nattier. Mme de Pompadour en Diane (1746). Huile sur toile, 102 × 82 cm, Château de Versailles. Jean-Marc Nattier est l’un des grands portraitistes de l’aristocratie sous le règne du Louis XV.
François Boucher. La marquise de Pompadour (1750). Huile sur toile, 65 × 81 cm, Harvard Art Museums, Cambridge, Massachusetts. François Boucher est un peintre très apprécié de la marquise à laquelle il donna des leçons de dessin et de peinture.
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Carle Van Loo. Madame de Pompadour en Belle Jardinière (1754-55). Huile sur toile, 81 × 64,5 cm, Château de Versailles. Charles André van Loo, dit Carle van Loo (1705-1765), est un peintre de scènes mythologiques et religieuses, mais aussi de portraits, qui connut un succès considérable sous le règne de Louis XV.
François Boucher. Portrait de la marquise de Pompadour (1756). Huile sur toile, 201 × 157 cm, Alte Pinakothek, Munich.
François Boucher. Madame de Pompadour (1756-58). Huile sur toile, 38 × 46,3 cm, National Galleries of Scotland, Édimbourg. Ce petit portrait attribué à Boucher est une variante du grand portrait précédent.
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François-Hubert Drouais. Madame de Pompadour à son métier à broder (1763-64). Huile sur toile, 217 × 156,8 cm, National Gallery, Londres. François-Hubert Drouais (1727-1775) est un portraitiste très apprécié de l’aristocratie sous le règne de Louis XV.
Commentaires
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- 1. Naguère Le 15/08/2017
Pas de complicité entre eux ! La Tour (sale caractère) retarda ses rendez-vous de pose pendant deux ans. Elle préférait largement Boucher.
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