Jean-Marc Nattier. Portrait de Madame Geoffrin (1738)
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Patrick AULNAS
Jean-Marc Nattier (1685-1766) fut un des grands portraitistes français de la première moitié du 18e siècle. Le portrait solennel et un peu guindé du siècle précédent laisse place avec Nattier à l’intimité et à la douceur. Ses nombreux portraits féminins mettent l’accent sur le luxe des vêtements et une certaine frivolité marquée par une pose très étudiée et parfois des déguisements (Diane, sultane orientale). Le Portrait de Madame Geoffrin illustre bien ces caractéristiques.
Jean-Marc Nattier. Portrait de Madame Geoffrin (1738)
Huile sur toile, 145 × 115 cm, Fuji Art Museum, Tokyo
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
Le salon de Madame Geoffrin
Marie-Thérèse Rodet naît à Paris en 1699. Elle est issue de la petite bourgeoisie, son père étant valet de chambre de la dauphine de France. A 14 ans, elle épouse François Geoffrin, directeur de la Manufacture royale de glaces de miroirs du Faubourg Saint-Antoine, qui avait produit les miroirs de la Galerie des Glaces du palais de Versailles. Cette manufacture deviendra par la suite la société Saint-Gobain.
Le couple s’installe dans un hôtel particulier de la rue Saint-Honoré. Mais, au lieu de mener la vie oisive d’une riche bourgeoise, Madame Geoffrin décide d’ouvrir un salon. Le salon littéraire ou salon de conversation est à la mode au 18e siècle. Il est créé par une femme (Marie du Deffand, Louise d’Épinay) ou, plus rarement, par un homme (le baron d’Holbach) chez qui des lettrés se réunissent régulièrement. Il s’agit d’attirer dans son salon les personnalités les plus en vue de la vie intellectuelle et artistique pour discuter, parfois lire un texte récemment paru. Les salons jouèrent un rôle non négligeable dans la diffusion des Lumières, ces idées nouvelles naissant de la réflexion philosophique.
Chez Marie-Thérèse Geoffrin se côtoient Marivaux, Marmontel, Grimm, d'Holbach, Helvétius, d'Alembert, mais aussi des peintres comme Boucher, Van Loo. Son salon acquiert une réputation européenne et les personnalités étrangères de passage à Paris ne manquent pas de lui rendre visite, par exemple le prince polonais Poniatowski. Madame Geoffrin correspond avec des monarques comme le roi Gustave III de Suède ou la tsarine Catherine II de Russie. Également mécène, elle acquiert de nombreuses œuvres d’art, par exemple des toiles de Jean-Marc Nattier, Carle Van Loo et Jean-Marie Vien. Femme des Lumières, elle subventionne l'Encyclopédie.
Elle meurt en 1777.
Analyse de l’œuvre
Le modèle est habillé d’une robe dont l’étoffe soyeuse est remarquablement rendue. Ce vêtement ample, évoquant vaguement l’Antiquité, est couramment utilisé par Nattier, parfois avec les mêmes couleurs :
Jean-Marc Nattier. Madame de Maison-Rouge en Diane (1756)
Huile sur toile, 136,5 × 105,1 cm, Metropolitan Museum of Art, New-York.
L'épaule dénudée constitue une petite hardiesse pour l’époque. Mais le portrait de Madame Geoffrin fait preuve de retenue. Les deux épaules peuvent être parfois dénudées, voire même un sein pour les favorites de Louis XV, mais dans ce cas le portrait est destiné au roi :
Jean-Marc Nattier. Pauline Félicité de Mailly-Nesle (v. 1740)
Huile sur toile, 97 × 78 cm, collection particulière.
Madame Geoffrin tient un livre dans la main gauche, évocation de son activité intellectuelle.
Jean-Marc Nattier. Portrait de Madame Geoffrin (1738), détail
La main droite indiquant une direction est courante chez Nattier. Ce geste permet d’éviter une pose trop statique du modèle et instaure un dialogue visuel avec l’observateur du tableau. Que montre-t-elle ?
Jean-Marc Nattier. Portrait de Madame Geoffrin (1738), détail
Le visage, la coiffure et le regard légèrement mélancolique constituent des stéréotypes des portraits féminins de Nattier. L’artiste ne cherche nullement à analyser la psychologie du modèle ni même à faire apparaître un élément de son caractère. Il lisse la représentation de façon à faire coïncider le portrait avec un idéal imaginaire auquel aspirait la haute société de l’époque. Les portraits de Nattier ne permettent pas d’entrevoir une personnalité mais ils proposent une image que la haute bourgeoise et l’aristocratie voulaient laisser dans l’histoire.
Jean-Marc Nattier. Portrait de Madame Geoffrin (1738), détail
L’arrière-plan végétalisé et ennuagé est également une quasi-constante que l’on retrouve dans les deux autres portraits ci-dessus. Il ne s’agit pas d’une innovation puisque certains portraits de Rigaud comportaient déjà un fond décoratif du même type.
Le Portrait de Madame Geoffrin ne présente donc aucune originalité par rapport à tous ceux des femmes de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie que Nattier réalisa. Il faut se référer à d’autres portraits de la célèbre salonnière pour découvrir quelques traits de personnalité. Les trois portraits ci-dessous permettent de discerner l’intelligence et d’entrevoir ce que l’on appelait au XVIIIe siècle l’esprit.
Autres portraits de Madame Geoffrin
L'inclination naturelle des portraitistes à flatter leur modèle se traduit par une disparition des imperfections du visage et une forte tendance au rajeunissement. Ainsi, Marie-Thérèse Geoffrin semble beaucoup plus jeune sur le portrait de Marianne Loir, daté 1750-1760, que sur celui de Pierre Allais, daté 1747.
Cercle de Donat Nonnotte. Portrait de Mme Geoffrin. Huile sur toile, 72,4 × 58,4 cm. Collection particulière. L’auteur n’est pas identifié mais il s’agit probablement d’un élève de Donat Nonnotte (1708-1785), portraitiste membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Date inconnue.
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Pierre Allais. Portrait de Mme Geoffrin (1747). Huile sur toile, 80 × 100 cm, collection particulière. Ce portrait de Pierre Allais (1700-1782), peintre et pastelliste, est certainement le plus proche de la vérité. Madame Geoffrin a alors 48 ans et porte une tenue d’intérieur. Le visage n’a pas été notablement rajeuni comme sur les autres portraits.
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Marianne Loir. Portrait présumé de Mme Geoffrin (v. 1750-60). Huile sur toile, 82 × 100 cm, National Museum of Women in the Arts, Washington. Marianne Loir (1715-1769) a séjourné à Paris et à Rome puis est devenue membre de l’Académie des Beaux-arts de Marseille. Le modèle, non identifié, est présumé être Madame Geoffrin, selon le musée de Washington. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE |
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