Giotto. Noli me tangere (début 14e siècle)
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Patrick AULNAS
Giotto di Bondone (v. 1267-1337) est l’un des fondateurs de la grande aventure artistique occidentale qui commence au 14e siècle en Italie pour se terminer au 19e siècle. La peinture avait jusqu’à lui une ambition principalement décorative (palais, églises) ; il propose de lui associer une dimension expressive. Dans la mesure où les scènes religieuses constituent l’essentiel de la production, il doit faire évoluer leur représentation. Les figures hiératiques de la Vierge, du Christ et des saints deviennent avec Giotto de véritables êtres humains. Leurs émotions apparaissent, leurs souffrances et leur hantise de la mort les rapprochent des fidèles qui s’émerveillent devant les fresques recouvrant les murs des églises.
Giotto donne ainsi plus de vérité à la représentation picturale. La Renaissance artistique du 15e siècle en Italie et en Flandre doit beaucoup à ce fils de paysan génial qui bouleverse l’art du 14e siècle. Jusqu’au 19e siècle, l’art de peindre poursuivra le sillon tracé par Giotto en perfectionnant sans cesse la représentation. L’impressionnisme mettra un terme à cette belle aventure et en proposera une autre : évoquer par l’image la perception singulière de l’artiste.
Giotto fut l’un des premiers artistes à traiter la scène Noli me tangere. En observant deux opus espacés d’une quinzaine d’années, une certaine évolution de l’artiste transparaît.
Giotto. Noli me tangere (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm, Chapelle Scrovegni, Padoue.
Giotto. Noli me tangere (v. 1320)
Fresque, Basilique Saint-François d'Assise, église inférieure.
L’épisode biblique Noli me tangere
La tradition chrétienne relate l’épisode Noli me tangere (Ne me touche pas ou encore Ne me retiens pas) de la façon suivante. Le dimanche de Pâques, c'est-à-dire trois jours après la crucifixion, Marie-Madeleine (Marie de Magdala), disciple de Jésus, se rend au tombeau du Christ afin de se recueillir. Elle se penche à l’intérieur du tombeau et s’aperçoit que le corps de Jésus a disparu. A sa place, se trouvent deux anges vêtus de blanc qui lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? ». Marie-Madeleine répond : « Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » A ce moment, Marie-Madeleine se retourne et voit un homme qu’elle prend pour un jardinier car il a une bêche sur l’épaule. L’homme dit : « Marie ! » et elle répond : « Maître ! ». Alors Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : "Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu". » (Évangile selon saint Jean, chapitre 20, versets 11 à 18)
Analyse comparative des deux œuvres
Giotto a choisi de représenter le moment où Jésus prononce les paroles Noli me tangere, souvent commentées par les exégètes de la Bible, et parfois de façon savante. Mais leur signification première est assez évidente. La vie terrestre du Christ est achevée. N’étant pas un homme ordinaire, mais le fils de Dieu, sa résurrection lui permet de prononcer ces dernières paroles indiquant qu’il reste présent. Marie-Madeleine ne doit pas le retenir car il n’appartient plus au monde des vivants. Elle doit aller prévenir les disciples que le Christ est monté auprès de son Père, leur Dieu.
La structure globale des deux compositions est identique. A gauche, deux anges sont assis sur le tombeau du Christ ouvert. Il vient de ressusciter. A droite, Marie-Madeleine à genoux implore le Christ, mais celui-ci l’arrête d’un geste de la main en prononçant les paroles : « Noli me tangere ». Un paysage rocheux avec quelques éléments schématiques de végétation constitue l’arrière-plan. Le ciel d’un bleu profond représente la moitié de la surface sur la fresque de Padoue (1304), environ un tiers sur la fresque d’Assise (1320). La tête des personnages sacrés est entourée d’un nimbe, disque de lumière permettant de les distinguer des humains.
Giotto. Noli me tangere, détail (1304-06)
Giotto. Noli me tangere, détail (v. 1320)
Giotto a simplifié la scène de 1320 par rapport à celle de 1304. Les soldats endormis au pied du tombeau ont en effet disparu, mais deux anges virevoltent dans le ciel. En 1320, Giotto élimine les figures accessoires pour focaliser sur les deux personnages principaux. Le Christ de 1304 porte un étendard sur lequel est inscrit : « Victor Mortis » (Vainqueur de la mort). Celui de 1320 ne tient qu’un bâton. En 1320, les postures des deux personnages accentuent la dramatisation. Marie-Madeleine est penchée en avant et le déhanchement du Christ est plus marqué. L’évolution vers l’expressivité apparaît ainsi nettement en une quinzaine d’années. Il s’agit de donner plus d’intensité à la scène en se concentrant sur le rapport entre les deux personnages et en particulier sur l’imploration de Marie-Madeleine, dont le visage est entièrement visible alors que la tête était couverte d’un voile en 1304.
Giotto. Noli me tangere, détail (1304-06)
Giotto. Noli me tangere, détail (v. 1320)
La qualité expressive de ces fresques est unique au début du 14e siècle. La technique de la fresque suppose en effet une capacité de restituer en un très bref délai l’image intériorisée par l’artiste. Elle consiste à peindre sur un enduit frais (mélange de sable et de chaux) de telle sorte que la peinture s'incorpore à l'enduit et devient aussi dure en séchant que l'enduit lui-même. Il en résulte une stabilité remarquable. Mais pour l'artiste, un inconvénient majeur apparaît : il doit travailler très vite (une journée maximum) car après séchage, aucune retouche n'est possible. Une grande maîtrise est nécessaire pour travailler aussi rapidement sans laisser apparaître de défauts majeurs.
La peinture de Giotto marque une évolution importante, non pas tant sur le plan technique que d’un point de vue sémantique. La perspective reste réduite à des tentatives, qui apparaissent par exemple avec le parallélépipède du tombeau ou encore avec les arbres lointains dessinés plus petits. Mais avec ces moyens limités, le peintre entend donner un sens nouveau à l’image créée. Les dieux et les saints ne sont plus des figures hautaines et inaccessibles ; ils partagent les sentiments des hommes et comprennent leurs faiblesses.
Autres compositions sur le même thème
Au 14e siècle, les représentations de la scène Noli me tangere n’atteignent pas l’intensité dramatique de celles de Giotto. Elles restent plus conventionnelles. Il faut attendre le 15e siècle et la Première Renaissance pour observer une évolution se situant dans la ligne de la peinture du grand précurseur.
Duccio. Noli me tangere (1308-1311). Tempera sur bois, 51 × 57 cm, Museo dell'Opera metropolitana del Duomo, Sienne. Duccio di Buoninsegna, très connu à Sienne et Florence, fut élève de Cimabue. Il est considéré à son époque comme un grand artiste et ne manque ni de commanditaires, ni d'élèves. |
Maître de la Résurrection. Noli me tangere (v. 1350). Tempera sur or et bois, 56 × 38 cm, Pinacothèque du Vatican. Œuvre d’un peintre non identifié de l’école de Rimini. Partie haute : la Crucifixion avec saint Pierre et saint Paul sur les côtés, saint Jean, la Vierge et Marie-Madeleine au pied de la croix. Partie basse : scène Noli me tangere, inspirée de Giotto, avec des anges assis sur le tombeau ouvert, mais représentée d’une manière plus traditionnelle. |
Fra Angelico. Noli me tangere (1440-41). Fresque, 166 × 125 cm, Couvent San Marco, Florence. Fra Angelico traduit le message spirituel par une composition simple mais ambitieuse par son contenu émotionnel. Les deux personnages ont été placés dans un jardin entourés de palissades, visibles à l’arrière-plan. La végétation abondante et le sol entièrement recouvert d’espèces florales constituent un choix esthétique courant au 15e siècle. Voir aussi : analyse détaillée |
Agnolo Bronzino. Noli me tangere (1561). Huile sur bois, 291 × 195 cm, musée du Louvre, Paris. Maniérisme oblige, l'essentiel ici est dans les postures des personnages : déhanchement du Christ pour éviter Marie-Madeleine, révérence de cette dernière. Mais la réussite chromatique est totale : figures et arrière-plan. |
Claude Lorrain. Paysage avec la scène Noli me tangere (1681). Huile sur toile, 84,5 × 141 cm, Städelsches Kunstinstitut, Francfort. Claude Lorrain, grand paysagiste du 17e siècle, utilisait des épisodes religieux ou mythologiques pour placer des personnages dans ses paysages. Image HD sur GOOGLE ART PROJECT |
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