Eugène Boudin. Sur la plage, coucher de soleil (1865)
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Patrick AULNAS
La rencontre d’Eugène Boudin et de la peinture est-elle le fruit du hasard ou de la nécessité ? Nul ne peut répondre à cette question. Mais le jeune papetier de Honfleur était, de par sa profession, en contact avec des peintres venant acheter du matériel et même exposer dans son magasin. Le magnifique paysage maritime environnant et la profonde évolution de la peinture au milieu du siècle feront le reste. La vocation d’Eugène Boudin repose ainsi sur la conjonction du talent qu’il sentait en lui et du milieu, qui le portait vers une des peintures paysagères les plus poétiques de l’histoire.
Eugène Boudin. Sur la plage, coucher de soleil (1865)
Huile sur bois, 38,1 × 58,4, Metropolitan Museum of Art, New York.
Image HD sur Metropolitan Museum of Art
Contexte historique
La peinture de paysage française subit une transformation radicale au 19e siècle. Elle était un genre mineur qui ne pouvait rivaliser avec les scènes historiques et religieuses que l’Académie plaçait au sommet de la hiérarchie des genres. Elle devient à la fin du siècle un genre majeur qui se situe au carrefour des évolutions de la peinture.
Dans les années 1830, un groupe de peintres (Théodore Rousseau, Charles-François Daubigny et bien d’autres) s'établit dans le village de Barbizon, près de la forêt de Fontainebleau, pour saisir la nature sur le motif. Ils rejettent les compositions classiques qui utilisaient des motifs sylvestres et des éléments de paysages réels, pour composer en atelier un paysage idéal qui, en général, comportait quelques figures antiques ou religieuses.
Eugène Boudin, né en 1824, n’appartient pas à l’école de Barbizon, mais l’influence de ce naturalisme est déterminante dans sa conception du paysage. On peut considérer que la Normandie d’Eugène Boudin a constitué à partir de 1850 un second centre important d’évolution de la peinture de paysage. Boudin installe son chevalet le long des plages normandes et saisit sa perception de l’instant.
Ses paysages peuvent comporter des pêcheurs ou des paysans au travail, mais ceux qui le rendront célèbres illustrent la vie oisive de l’aristocratie et de la bourgeoisie aisée qui venaient se divertir à Deauville et à Trouville. La mode des bains de mer ayant été lancée dans la décennie 1860, les stations balnéaires normandes accueillent les estivants qui achètent les petits tableaux de Boudin comme souvenir. Le peintre ne se fait pas d’illusions et assimile son succès à une réussite commerciale. Ainsi écrit-il en 1863 : « On aime mes petites dames sur la plage et d’aucuns prétendent qu’il y a là un filon d’or à exploiter. »
Eugène Boudin. Sur la plage coucher de soleil, détail (1865)
Il est vrai que les acheteurs ne comprenaient rigoureusement rien à cette peinture de la perception, ayant été formatés à l’académisme le plus pur. Mais la critique remarque le peintre et les milieux de l’art le plus novateur l’accueillent.
L’influence de Boudin sur le courant impressionniste naissant apparaît clairement en comparant un tableau de Boudin et un autre de Monet. Au moment où Boudin peignait Sur la plage, coucher de soleil (ci-dessus), Monet peignait Jardin en fleurs à Sainte-Adresse :
Claude Monet. Jardin en fleurs à Sainte-Adresse (1866)
Huile sur toile, 65 × 54 cm, musée d’Orsay, Paris.
Il serait absurde de chercher qui est le plus impressionniste des deux. Mais on voit nettement qu’en 1865 Boudin a, en quelque sorte, une longueur d’avance. Monet se dirigera rapidement ensuite vers le flou des formes suggérées et la quête de la lumière naturelle. Le jeune Monet a lui-même analysé l’influence de Boudin sur sa vocation de peintre. A la fin de la décennie 1850, Monet rencontre Boudin au Havre. Il l’accompagne lorsqu’il va peindre sur le motif les paysages normands. Et c’est alors qu’il comprend : « Je le regarde plus attentivement, et puis, ce fut tout à coup comme un voile qui se déchire : j’avais compris, j’avais saisi ce que pouvait être la peinture. » (*)
Analyse de l’œuvre
Les paysages d’Eugène Boudin comportent tous un ciel représentant des deux-tiers de la surface du tableau. Ce type de composition était déjà utilisé par les peintres néerlandais du 17e siècle (Jacob van Ruisdael, Meindert Hobbema) qui, eux aussi, accordaient une place importante aux nuages. Climat oblige, le ciel des rivages de la Manche et de la mer du Nord est rarement bleu. L’aspect naturaliste de Boudin lui vient donc de la tradition nordique, qui a d’ailleurs été pérennisée jusqu’au la fin du 19e siècle par des artistes pré-impressionnistes comme Johann Barthold Jongkind (La Ciotat, 1880) qui influença aussi le jeune Claude Monet.
Boudin reprend donc un modèle déjà ancien qui permet de poursuivre simultanément deux objectifs. Tout d’abord, donner de la profondeur au paysage qui se développe jusqu’à une ligne d’horizon traversant horizontalement tout l’espace pictural. Ensuite, utiliser le ciel comme une source de lumière inondant tout le paysage. Selon la couverture nuageuse ou le moment de la journée, il est possible de faire apparaître un éclairage aux nuances infinies.
Boudin devient ainsi un spécialiste des ciels ennuagés au-dessus de la mer, admirés par Corot, qui surnommera le peintre normand « le roi des ciels ».
Eugène Boudin. Sur la plage coucher de soleil, détail (1865)
Sur la plage, coucher de soleil fait partie des très nombreux tableaux réalisés par Boudin dans la décennie 1860-70, associant le tourisme balnéaire et le paysage côtier normand. La grande réussite de la composition se situe dans la magistrale restitution de la lumière vespérale qui enveloppe le paysage tout entier et qui semble effleurer les figures et le sable de la plage. Le peintre parvient à poétiser l’instant par le caractère impressionniste de son approche. Rien n’est dit, mais tout est suggéré par des formes indistinctes mais parfaitement reconnaissables, par un soleil absent mais diffusant encore une lumière atténuée. Une impression générale de sérénité se dégage du tableau.
L’observateur du 21e siècle peut d’ailleurs associer ce paysage à l’univers de Marcel Proust, même si le tableau est chronologiquement antérieur. Le site dont s’est inspiré Boudin n’est pas identifié, mais rien n’interdit de penser qu’il puisse s’agir de Cabourg (le Balbec de Proust) et que les personnages conversant au bord de l’eau vont bientôt rejoindre le Grand-Hôtel, qui existe encore aujourd’hui sur la promenade longeant la plage. C’est aussi de la nostalgie d’un monde disparu, mais encore si présent par la magie de l’art, dont nous entretient Eugène Boudin. En quelque sorte, notre recherche de temps perdu.
Eugène Boudin. Sur la plage coucher de soleil, détail (1865)
Paysages maritimes normands du 19e siècle
J-B. Corot. Vue de Honfleur (1830). Huile sur toile, 30 × 42,6 cm, Rhode Island School of Design Museum, Providence. La petite ville normande de Honfleur possède un port de pêche et de commerce que Corot traite à la façon des peintres néerlandais et non selon les critères du néoclassicisme. Le peintre n’a pas l’ambition de proposer une composition parfaitement achevée, d’où le réalisme de l’image. Paradoxalement pour une composition portuaire, les nuances d’ocre et de brun dominent et la mer est absente, cachée derrière le quai.
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Claude Monet. Terrasse à Sainte-Adresse (1867). Huile sur toile, 98 × 110 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Ce tableau a été peint pendant l’été 1867 dans le jardin de la propriété de la famille Lecadre à Sainte-Adresse. Au premier plan, il s’agit sans doute du père du peintre, Adolphe Monet. Les autres figures s’inspirent de membres de la famille Lecadre. L’objectif n’est évidemment pas le portrait de famille, mais la traduction picturale du ressenti du jeune peintre face à la magnifique terrasse fleurie offrant une vue sur un vaste panorama maritime.
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Claude Monet. L’hôtel des Roches Noires à Trouville (1870). Huile sur toile, 81 × 59 cm, musée d’Orsay, Paris. Cette œuvre « constitue un magnifique exemple de l'audace technique du peintre. Sa touche allusive et rapide crée l'impression du frémissement des drapeaux et anime un ciel parcouru de nuages aux contours incertains. Le format en hauteur accentue encore le contraste entre la stabilité des figures, réparties dans la partie basse de la toile, et la mouvance des éléments sujets au vent, dans la partie supérieure. Le drapeau du premier plan est particulièrement mis en valeur par le choix des rayures rouges et blanches, peintes d'un pinceau très libre. On évoque souvent Proust à propos de cette œuvre, mais la société dépeinte par Monet est antérieure d'une génération au moins à celle qu'évoque le romancier, même si l'hôtel des Roches Noires fut un des modèles du grand hôtel de Balbec. » (Notice musée d’Orsay)
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Eva Gonzalès. Vue de Grandcamp (1877-78). Huile sur toile marouflée sur panneau, 11,2 × 28 cm, collection particulière. La plage de Grandcamp, dans le Calvados, était très renommée à la fin du 19e siècle et au début du 20e. La bourgeoise parisienne en fit un de ses lieux de villégiature.
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Camille Pissarro. L’Anse des pilotes et le brise-lame est, Le Havre, matin, soleil, marée montante (1903). Huile sur toile, 54,5 × 65 cm, musée d’art moderne André Malraux, Le Havre.
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Camille Pissarro. L’Anse des pilotes, Le Havre, après-midi, temps ensoleillé (1903). Huile sur toile, 54,5 × 65 cm, musée d’art moderne André Malraux, Le Havre. « Peintes au Havre, ces deux toiles sont parmi les dernières exécutées par Camille Pissarro (1830-1903), quelques mois avant sa mort. L'artiste revient dans le port où il avait débarqué enfant depuis l'île Saint-Thomas aux Antilles […] La composition des deux tableaux est solidement charpentée par les lignes obliques du bord des bassins et par les verticales des lampadaires, des mâts et des cheminées des bateaux. Avec ces installations électriques, ces grues et ces vapeurs, c'est une vue résolument moderne du port du Havre que nous offre Pissarro. Il saisit les badauds en plein mouvement et la scène prend des allures d'instantané. Les motifs, brutalement coupés par les bords de la toile, ne sont d'ailleurs pas sans rappeler l'image photographique qui fascinait alors de nombreux peintres. » (Commentaire MuMa Le Havre)
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(*) Cité par Daniel Wildenstein, Monet ou le triomphe de l’impressionnisme, éditions Taschen.
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