Claude Monet. Femmes au jardin (1866)
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Patrick AULNAS
Lorsqu’il peint Femmes au jardin, Claude Monet a 26 ans et vient de remporter un certain succès au Salon des Beaux-arts de 1866. Sa Femme à la robe verte, dont le modèle est Camille Doncieux, sa maîtresse, a suscité l’approbation de Zola qui écrit que la toile qui l’a « le plus longtemps arrêté est la Camille de M. Monet ». Fort de ce succès, il entreprend pour le Salon de 1867 une composition plus ambitieuse à la fois par la taille de la toile et par le style se démarquant nettement de l’académisme qui conserve pourtant les faveurs du jury. Ce sera Femmes au jardin.
Claude Monet. Femmes au jardin (1866)
Huile sur toile, 255 × 205 cm, musée d’Orsay, Paris.
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Création et historique de l’œuvre
Femmes au jardin a été réalisé dans le jardin d’une petite maison louée par Monet près de Ville-d’Avray, dans la banlieue parisienne. Le jeune artiste veut peindre directement sur le motif pour capter les effets de lumière. Mais la toile ayant une hauteur de 2,55 mètres, il doit, pour atteindre le haut, creuser une tranchée permettant de la descendre avec des poulies. Camille Doncieux pose pour les trois figures de gauche et un modèle professionnel est utilisé pour la femme aux cheveux roux de droite. Outre Femmes au jardin, Monet propose au jury du Salon de 1867 Le port de Honfleur. Les deux tableaux sont refusés. C’est une catastrophe pour Claude Monet car sa situation financière est précaire et il a dû quitter la maison de Ville-d’Avray faute de pouvoir payer le loyer. Personne n’offrira un prix convenable pour ce chef-d’œuvre. Frédéric Bazille (1841-1870), peintre et ami de Monet, disposant d’une importante fortune familiale, achète alors le tableau pour 2 500 francs. Il s’agit d’une somme importante qui sera versée par Bazille sous forme de mensualités de 50 francs. Les salaires annuels étaient à l’époque approximativement les suivants : 500 F pour un domestique, 800 F pour un instituteur débutant, 4300 F pour un lieutenant-colonel.
Pourquoi le jury du salon a-t-il refusé les tableaux de Monet ? Tout simplement parce que les critères de l’académisme n’étaient pas respectés. Les tableaux de grande taille étaient réservés depuis le 17e siècle aux compositions historiques, religieuses ou mythologiques. Une certaine dimension narrative devait être présente, un évènement par exemple devait apparaître. Rien de tel dans le tableau de Monet qui se contente de présenter quatre femmes dans un jardin. D’un point de vue stylistique, l’artiste laisse les touches de peinture apparente alors que l’Académie impose une touche lissée de façon à obtenir des surfaces parfaitement homogènes. La touche apparente peut être admise pour une étude mais pas pour une toile présentée au Salon officiel. L'un des membres du jury déclare d’ailleurs : « Trop de jeunes gens ne pensent qu'à poursuivre dans cette abominable direction. Il est grand temps de les protéger et de sauver l'art ! » (*)
Le tableau restera dans la famille Bazille jusqu’à 1876, fera un bref séjour chez Édouard Manet puis reviendra à Claude Monet en échange d’une toile de Manet. De 1876 à 1921, Femmes au jardin reste dans la collection de Claude Monet. L’État français l’achète en 1921 et l’affecte d’abord au musée du Luxembourg (1921-1929), puis au musée du Louvre (1929-1986) et enfin au musée d’Orsay.
Analyse de Femmes au jardin de Claude Monet
Avec ce tableau, l’ambition de Claude Monet est déjà impressionniste, même si le mot lui-même n’apparaît qu’avec Impression soleil levant en 1872. Le peintre ne cherche pas à faire un portrait de groupe en plein air mais à restituer une atmosphère printanière ou estivale. La lumière du soleil doit donc inonder le tableau. L’artifice de composition consiste à placer des personnages aux vêtements très clairs et une allée de sable blanc sur un fond de verdure. Le ciel un peu ennuagé apparaît en haut et à travers le feuillage, mais la lumière vient de la droite comme l’indique l’ombre sur l’allée. Ce travail sur l’ombre et la lumière est l’unique objectif de Monet. Les personnages ont pour fonction d’animer la composition et de capter la lumière éblouissante parfaitement restituée par les robes blanches sur lesquelles des ombres se dessinent. Les visages n’intéressent pas Monet qui l’indique clairement en les réduisant à une esquisse. Les figures conservent d’ailleurs une certaine raideur et il semble bien que le jeune peintre ne soit pas parvenu à transformer la pose des modèles en une gestuelle spontanée. Si nous sommes aujourd’hui sensibles à l’ambiance estivale de ce tableau, les choix de l’artiste devaient nécessairement heurter le jury de l’Académie en 1866.
La technique utilisée par les impressionnistes est, elle aussi, opposée à la manière de peindre traditionnelle, ce qu’un jury composé d’artistes voit immédiatement. La technique classique consistait à enduire la toile d’un fond blanc ou sombre et ensuite à faire apparaître la composition par couches successives. De nombreuses séances en atelier étaient nécessaires pour superposer les couches et les glacis. A titre d’exemple, une étude académique remarquable sur l’ombre et la lumière est fournie par le tableau de Jean-Joseph-Xavier Bidauld, Le Parc à Mortefontaine (1806). Il s’agit d’un paysage classique, très équilibré, avec une lumière traversant le feuillage et se reflétant sur l’étang. Bidauld a parfaitement lissé les couleurs et aucune touche n’apparaît. Voilà ce qu’attendent les jurys académiques du milieu du 19e siècle. Pour un académicien de l’époque, le tableau de Monet n’est donc pas « fini ». Le présenter au jury est perçu comme une provocation.
Les impressionnistes utilisent une technique résultant des travaux du chimiste Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) qui a réalisé une étude systématique de la perception des contrastes. L’une de ses conclusions est que la juxtaposition de couleurs complémentaires (par exemple bleu et orange, rouge et vert), en produisant un contraste maximum, accentue la perception de luminosité. Cette juxtaposition était auparavant déconseillée par les règles académiques car les couleurs ne devaient pas agresser l’observateur et rester relativement discrètes. Mais les impressionnistes travaillent justement par juxtaposition de couleurs. Ils utilisent à l’occasion les observations de Chevreul comme on peut le voir dans Femmes au jardin avec les fleurs rouges associées au feuillage vert. D’une manière générale, les impressionnistes peignent sur le motif afin de saisir rapidement un effet produit par la nature, dans laquelle la lumière du soleil constitue l’élément visuel essentiel. L’étude captée sur le motif peut être achevée en atelier, mais il est nécessaire de préserver l’impression initiale. Contrairement à la peinture académique cherchant à idéaliser la nature, l’impressionnisme veut la respecter, transmettre une perception naturelle saisie à un moment précis. Il importe peu que les touches soient visibles, que certaines formes restent seulement ébauchées pourvu que l’impression saisie sur le motif soit transposée sur la toile.
Il fallait une culture et une sensibilité artistique supérieures à la moyenne pour comprendre tout cela en 1867. L’objectif poursuivi par les impressionnistes échappait à la plupart des observateurs et des critiques. Émile Zola représente l’exception lorsqu’il avoue son admiration pour Femmes au jardin : « Le soleil tombait droit sur les jupes d’une blancheur éclatante ; l’ombre tiède d’un arbre découpait sur les allées, sur les robes ensoleillées, une grande nappe grise. Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tour de force, des étoffes coupées en deux par l'ombre et le soleil. »
Compositions du courant réaliste admises à l’époque
Pour bien comprendre l’audace de Claude Monet, il faut observer ce qui était admis comme très novateur par l’Académie. Ce sont des compositions du courant réaliste émanant de peintres rattachés à l’École de Barbizon.
Charles-François Daubigny. L'Étang de Gylieu (1853). Huile sur toile, 62 × 100 cm, Art Museum, Cincinnati. Charles-François Daubigny (1817-1878) aimaient représenter les milieux aquatiques et il réalisa plusieurs tableaux de cet étang. Il cherche à saisir un paysage et la situation météorologique du moment sans souci excessif du détail. Le vaste ciel nuageux apporte une lumière qui se reflète à la surface de l'étang. Seuls deux hérons assurent une présence animale. Une telle œuvre était encore accueillie avec réticence par certains critiques d'art de l'époque qui n'y voyaient qu'une « ébauche ».
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Jean-François Millet. L'Angélus (1857-59). Huile sur toile, 55,5 × 66 cm, Musée d'Orsay, Paris. L'angélus est le moment de la prière dans les champs. A cette époque, trois fois par jour, sonnait l'angélus à la cloche de l'église. Les paysans arrêtaient brièvement le travail pour un instant de recueillement. Il s'agit ici de l'angélus de soir (vers 18h) : la lumière atténuée du soleil couchant provient de la gauche du tableau. « Isolé au premier plan, au milieu d'une plaine immense et déserte, le couple de paysans prend des allures monumentales, malgré les dimensions réduites de la toile. Leurs visages sont laissés dans l'ombre, tandis que la lumière souligne les gestes et les attitudes. La toile exprime ainsi un profond sentiment de recueillement et Millet dépasse l'anecdote pour tendre vers l'archétype. » (Notice musée d'Orsay)
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Jean-Baptiste Corot. Souvenir de Mortefontaine (1864). Huile sur toile, 65 × 89 cm, musée du Louvre, Paris. « Dans son atelier, le peintre se souvient des étangs de Mortefontaine, situés près d'Ermenonville, où il vient et revient à partir de 1850 étudier les reflets sur la surface de l'eau et les effets de lumière. Mais attention, il s'agit ici d'une construction particulière du souvenir, à partir de toutes les images du lieu. Corot en peint une qui les contient toutes. Après 1850, l'art de Corot devient lyrique et sa technique volontairement plus elliptique. Par son ambiance brumeuse et poétique, Souvenir de Mortefontaine est un chef-d'œuvre de cette période de maturité. » (Notice musée du Louvre)
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(*) Cité par le commentaire du musée d’Orsay
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