Le paysage au 18e siècle
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Patrick AULNAS
6. L'art du paysage au 18e siècle
La peinture de paysage ne connaît pas au 18e siècle les évolutions majeures que l'on a connues aux 16e et 17e siècles. Les deux grands types de paysages subsistent et sont adaptés par les artistes en fonction des modes. Ainsi, Watteau ou Gainsborough s'inspirent-ils du paysage hollandais ou flamand, plus réaliste, alors que Pierre-Henri de Valenciennes ou Francesco Zuccarelli se situent dans le prolongement du paysage arcadien. Les italiens, en mettant l'accent sur le paysage urbain (les vedute), sont probablement encore les principaux innovateurs en matière de composition. Quant aux français, ils se libèrent des contraintes académiques du règne de Louis XIV.
France : les sentiments supplantent la raison
François Boucher. Un Eté pastoral (1749)
Huile sur toile, 259,5 × 198,5 cm, Wallace Collection, Londres.
Après la mort de Louis XIV en 1715, les normes très strictes imposées par l'Académie de peinture et de sculpture sont remises en cause. Un engouement pour la peinture hollandaise et flamande se fait jour et le « grand goût » paraît démodé. Il ne s'agit pas seulement d'une inflexion de la mode, mais d'une évolution de la sensibilité qui a été analysée par les penseurs de l'époque. Ainsi, en 1719, l'abbé Du Bos (1670-1742) publie les Réflexions critiques sur la poésie et la peinture qui renouvellent la conception de l'art. Celui-ci n'est plus, comme au temps du classicisme français, une manière de domestiquer la nature par la raison en puisant en elle la quintessence de la beauté, mais une façon d'exprimer des sentiments et d'émouvoir. Les sentiments, voire même la sensualité, ont une légitimité plus forte que la raison. Une telle profession de foi ne pouvait manquer de susciter l'opposition des tenants de la tradition classique, mais elle allait dans le sens de l'histoire.
Les fêtes galantes
Les fêtes galantes furent la première manifestation de cette nouvelle tendance. Il s'agit de scènes de rencontre entre des personnes appartenant à l'élite de la société et évoluant dans un cadre naturel : parc, jardin, île idyllique. La nature n'y est pas domestiquée comme dans les tableaux de Lorrain ou Poussin, mais beaucoup plus proche de celle des peintres hollandais. Par contre l'atmosphère générale du tableau est celle de la peinture vénitienne du siècle précédent qui cherchait à suggérer le locus amoenus antique. Les fêtes galantes, dont Antoine Watteau fut l'initiateur, constituent ainsi une remarquable synthèse de la peinture nordique, par le réalisme de la nature représentée, et de la peinture italienne, par la recherche du lieu idyllique propre aux rencontres amoureuses.
La peinture de Watteau permet aussi de faire émerger un art du paysage qui n'impose pas la présence de scènes mythologiques ou religieuses, aussi accessoires soient-elles. Pour respecter les standards académiques, la peinture française de paysage était jusqu'alors astreinte à cette obligation et même si les plus grands cherchaient parfois à s'en affranchir, ils maintenaient dans leurs compositions des personnages habillés à l'antique : voir par exemple Nicolas Poussin, Paysage avec homme buvant (1637-38). Cette liberté nouvelle avait été clairement énoncée par Roger de Piles (1635-1709) dans son Cours de peinture par principes de 1708. Selon de Piles, il suffisait que les figures représentent « quelque petit sujet » qui visait essentiellement à « éveiller l'attention du spectateur ou à donner au moins un nom au tableau, de sorte que les intéressés puissent le distinguer d'autres œuvres. » (*)
Antoine Watteau. La Proposition embarrassante (1715-16). Huile sur toile, 65 × 85 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Le paysage joue un grand rôle dans les fêtes galantes. Watteau rompt cependant avec le paysage classique français, représenté par Claude Lorrain et Nicolas Poussin en particulier. Stylistiquement, il s'inspire plutôt du paysage nordique (flamand, hollandais) dans lequel il place des personnages de l'aristocratie française, richement vêtus et oisifs. Les nordiques, réalistes, choisissent des personnages occupés à des tâches quotidiennes. Watteau illustre ainsi la quintessence de la légèreté française, mais aussi toute la poésie qu'elle induit. |
Antoine Watteau. La gamme d'amour (1717). Huile sur toile, 51,3 × 59,4 cm, National Gallery, Londres. Au début du 18e siècle, la guitare remplace le luth. Cet instrument à la mode apparaît dans un certain nombre de toiles de Watteau. Le tableau correspond au moment précédant immédiatement la représentation musicale : la chanteuse donne le ton initial et l'accompagnateur trouve l'accord correspondant. La composition en diagonale sur fond de paysage idyllique se caractérise par les couleurs pastel et le soin apporté à la restitution des tissus moirés. |
Antoine Watteau. Pèlerinage à l'Île de Cythère (1717). Huile sur toile, 129 × 194 cm, musée du Louvre, Paris. Cythère est une île grecque de la mer Égée, mais dans la mythologie grecque elle est l'île dont les eaux ont vu naître Aphrodite, la déesse de l'Amour. Cette île a donc abondamment inspiré les artistes : poètes, musiciens et peintres. Le tableau de Watteau représente le moment du retour d'un pèlerinage à Cythère de jeunes gens élégants. Le couple situé au centre exprime le regret de l'instant du départ ; on perçoit la mélancolie sur le visage de la femme. La statue d'Aphrodite est représentée à droite avec ses attributs : des guirlandes de roses et le carquois de flèches utilisées par son fils Éros. Le couple assis à côté de la statue d'Aphrodite semble ignorer le départ. Les pèlerins qui descendent vers la mer sont également par couples absorbés dans un dialogue amoureux. Pour les contemporains, le tableau signifie Pèlerinage à l'île de l'Amour et il évoque à la fois les félicités et la fugacité du sentiment amoureux. |
François Boucher. Un Eté pastoral (1749). Huile sur toile, 259,5 × 198,5 cm, Wallace Collection, Londres. Ces scènes pastorales, prolongement des fêtes galantes de Watteau, connurent un grand succès. Une jeune femme appartenant à l'aristocratie ou à la haute bourgeoisie, mais les pieds nus, écoute un pâtre jouer de la cornemuse. Celui-ci regarde la jeune personne avec tendresse tandis que la bergère semble s'en défier. Les mimiques des personnages pouvaient susciter mille commentaires. Le paysage entièrement boisé comporte un étang et un édifice circulaire à l'arrière-plan et les animaux domestiques ne sont pas oubliés. Scène paisible et tendre : il s'agit du locus amoenus revisité. |
Jean-Honoré Fragonard. Les hasards heureux de l'escarpolette (1767). Huile sur toile, 81 × 64 cm, Wallace Collection, Londres. La composition de cette œuvre est magistrale avec, au centre, les roses et les blancs du personnage féminin sur fond de paysage luxuriant et vaporeux. Les deux diagonales représentent le mouvement : amant caché au pied de la statue, maîtresse sur la balançoire et cordes de la balançoire, d'une part, mari trompé, cordes d'impulsion et soulier de la femme qui s'envole, d'autre part. Ce tableau avait été commandé à Fragonard peu après son admission à l'Académie. Un courtisan souhaitait être représenté avec sa maîtresse comme un amant secret caché dans un buisson. A l'origine, un évêque devait pousser la balançoire de la jeune femme. Mais Fragonard recula devant cet aspect anticlérical qui pouvait lui être préjudiciable et remplaça fort heureusement l'ecclésiastique par le mari. La scène gagne ainsi une connotation plus galante, voire érotique, selon certains. Elle est surtout malicieuse, comme une scène de théâtre où les amants se jouent du mari trompé. |
Retour à la nature et néoclassicisme
Vers le milieu du 18e siècle, un regard nouveau sur la nature apparaît en littérature à la suite de la publication en 1750 du Discours sur les sciences et les arts de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : la société du 18e siècle, régie par de multiples règles sociales, ne vaut pas l'état de nature où l'homme pouvait être libre et heureux. Cette idéalisation d'une nature primitive et purement imaginaire trouve un grand écho dans le public cultivé de l'époque. Une nouvelle approche de la nature se fait jour : le jardin à l'anglaise remplace le jardin à la française, la dimension esthétique et émotive de la nature vierge ne doit plus échapper à l'amateur d'art.
Mais simultanément apparaît un regain d'intérêt pour l'Antiquité à la suite des découvertes archéologiques importantes faites à Pompéi, Herculanum et Paestum vers le milieu du 18e siècle. Le retour à l'Antique était une tendance présente dès le début du siècle en Allemagne et en Angleterre, mais la France avait fait preuve d'originalité en choisissant le rococo. Elle sera rattrapée par le goût de l'Antiquité à partir de 1760 environ. Ce néoclassicisme touche d'abord l'architecture puis se propage à la peinture. Le goût des ruines antiques sera particulièrement célébré par Hubert Robert.
L'art du paysage comporte ainsi de multiples aspects dans la seconde moitié du 18e siècle, mais le paysage néoclassique domine de plus en plus, avec des artistes comme Joseph Vernet (1714-1789), Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819), Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758-1846).
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Italie : Capricci et vedute
Canaletto.Le Grand Canal et l'Église de la Salute (1730)
Huile sur toile, 49,5 × 72,5 cm, Museum of Fine Arts, Houston.
Le goût des voyages se développe au 18e siècle dans la classe aisée. Alors que le voyage était auparavant une contrainte que l'on n'acceptait que pour des raisons religieuses (pèlerinage), politique (diplomatie, guerre), ou utilitaires (commerce), il devient un art de vivre, une source d'enrichissement culturel et personnel par la découverte d'autres cultures et la rencontre d'autres types d'individus.
Il devint ainsi coutumier d'envoyer les jeunes aristocrates européens, mais surtout britanniques, faire un Grand Tour d'Europe après leurs études. Il s'agissait de les confronter à des sociétés différentes tout en restant dans leur milieu social. On encourageait les jeunes gens à s'intéresser aux institutions politiques, à l'architecture, à la peinture de leur pays de séjour. Ils pouvaient aussi nouer des contacts avec d'autres aristocrates promis aux hautes fonctions politiques, militaires ou diplomatiques. Les voyageurs devaient, lors de leur séjour à Rome, faire réaliser leur portrait par une gloire locale. Un aristocrate anglais ne devenait un « compleat gentleman » qu'après avoir effectué son Grand Tour. Les pays de séjour étaient principalement la France, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne et les Pays-Bas.
Cette pratique éducative aura une influence sur les artistes locaux. Beaucoup d'œuvres picturales italiennes du 18e siècle correspondent au goût britannique et certaines ont émigré vers l'Angleterre. Il est en effet fréquent de voir la haute aristocratie britannique installée en Italie (diplomates, consuls, etc.) jouer le rôle de mécène pour les grands artistes italiens. Joseph Smith (1674-1770), qui fut consul britannique à Venise de 1744 à 1760 et collectionneur lui-même, se fit le promoteur auprès de la haute société anglaise de grands artistes italiens comme Francesco Zuccarelli ou Canaletto. En 1762, il vend sa collection au roi George III. Elle est encore aujourd'hui dans la Royal Collection, essentiellement au château de Windsor.
Trois grands types de paysages peuvent être recensés dans la production italienne de l'époque : les vedute, les capricci et les paysages arcadiens. La veduta (vedute au pluriel) est une représentation réaliste, aussi exacte que possible, du paysage urbain. L'objectif de fidélité se traduit par une méthode de travail à l'extérieur reposant sur l'observation et la prise de multiples croquis préparatoires. Le tableau est ensuite réalisé en atelier. L'artiste se réserve cependant une certaine liberté et il ne faut pas rechercher dans les vedute une parfaite exactitude topographique. Il s'agit de magnifier un paysage urbain. Pour les jeunes aristocrates du Grand Tour, les vedute sont des souvenirs qu'ils rapportent dans leur pays, équivalent de nos photographies ou vidéos.
Les capricci (capriccio au singulier) sont des compositions mettant en scène des personnages ou des épisodes de la tradition chrétienne sur fond de ruines antiques. Il s'agit de paysages imaginaires assemblant des éléments plus ou moins inspirés du réel. Le retour à l'Antique caractérisant le 18e siècle, ce sont surtout des ruines de l'Antiquité romaine qui servent de cadre à des scènes bibliques ou mythologiques.
Enfin le paysage arcadien ou idyllique reste prisé depuis le 16e siècle et il bénéficie désormais d'une longue tradition à la fois italienne et française puisque de grands artistes comme Nicolas Poussin et Claude Lorrain ont passé l'essentiel de leur vie à Rome.
Canaletto. Le Grand Canal et l'Église de la Salute (1730). Huile sur toile, 49,5 × 72,5 cm, Museum of Fine Arts, Houston. Canaletto (1697-1768) est le plus connu des vedutistes italien et son succès auprès des anglais fut considérable au 18e siècle. « Canaletto était un artiste extraordinairement brillant qui améliorait délicatement le thème traité en omettant certains détails soigneusement choisis afin de se concentrer sur l'essentiel. Ses belles couleurs combinent subtilement toutes les nuances que l'on peut associer à Venise, qu'il s'agisse de la ville réelle, de sa mémoire ou de son idéalisation. Exécutées en atelier à partir d'études, ses peintures sont, par conséquent, plus que des restitutions topographiques. Ce sont de pures recréations intellectuelles. » (Notice musée des Beaux-Arts de Houston) |
Canaletto. La Tamise et la City de Londres vues de Richmond House (1747). Huile sur toile, 105 × 117,5 cm, collection particulière. Canaletto vécut à Londres de 1746 à 1750 et y réalisa de nombreuses vedute. Le cours majestueux de la rivière, avec en arrière-plan la cathédrale Saint-Paul, se combine à la lumière matinale et au ciel serein. Canaletto traite ce paysage londonien avec la limpidité qu'il avait déjà utilisée à Venise. Au premier plan apparaissent les terrasses de Richmond House et, à gauche, celles de Montagu House. |
Giovanni Paolo Pannini. Ruines avec Saint-Paul prêchant (1735). Huile sur toile, 63 × 48 cm, Musée du Prado, Madrid. Giovanni Paolo Pannini (1691-1765) est un des grands spécialistes des capricci et des vedute. Le peintre se propose ici de nous faire revivre un épisode biblique en le situant dans les ruines l'Antiquité romaine subsistant encore au 18e siècle. Mais il ne faut pas chercher une exactitude archéologique dans la représentation de ces ruines. |
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Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe (1740-50). Huile sur toile, 142 × 208 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise. Francesco Zuccarelli (1702-1788) fut le protégé de Joseph Smith, le consul britannique à Venise. Celui-ci jouait un rôle d'intermédiaire commercial et permettait au peintre de vendre très cher ses tableaux en Angleterre. Zuccarelli est un spécialiste du paysage arcadien qu'il maîtrise à merveille. Il adapte au goût du 18e siècle le paysage classique de Claude Lorrain avec le souci constant du détail et l'art de la couleur propre aux vénitiens. L'enlèvement d'Europe, épisode de la mythologie grecque, a toujours été considéré comme l'un des chefs-d'œuvre du peintre. Europe est la fille du roi de Tyr, ville de Phénicie (actuel Liban). Zeus, métamorphosé en taureau, la rencontre sur une plage de Sidon. Europe s'approche de lui et est alors emmenée sur l'île de Crète. Sous un platane, elle s'accouple à Zeus (redevenu humain pour la circonstance !). Des enfants naissent et les péripéties divines se poursuivent. |
Francesco Zuccarelli. Paysage avec femmes à la rivière (1760). Huile sur toile, 118 × 137 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise. Le thème du locus amoenus permet ici à Zuccarelli d'élaborer une composition parfaitement équilibrée. Ce paysage idéal où les personnages vivent en parfaite harmonie avec la nature arcadienne constitue un thème éternel et qui ne vieillit pas au fil des siècles, pour peu que l'artiste adapte son tableau aux exigences fugaces de son époque. |
Angleterre : les influences étrangères
Richard Wilson. Le val de Narni (v. 1760)
Huile sur toile, 66 × 48 cm, collection particulière.
Avant de trouver une voie réaliste propre, au 19e siècle, avec John Constable (1776-1837), l'art du paysage dans l'Angleterre du 18e siècle subit les influences hollandaise, française et italienne. Selon les artistes, on pourra percevoir la manière de Jacob van Ruisdael ou de Claude Lorrain. Les peintres anglais oscillent entre la reproduction de la réalité observée et une idéalisation selon les critères du paysage classique français.
Le grand portraitiste Thomas Gainsborough fut aussi un paysagiste. Justice lui sera rendue à cet égard, non de son vivant, mais par ses successeurs qui voyaient en lui le grand précurseur de la peinture paysagère britannique. John Constable dira ainsi : « Je crois voir Gainsborough dans chaque haie et dans chaque arbre creux ».
L'attractivité italienne se manifesta sur des artistes comme Richard Wilson (1714-1782) et Joseph Wright (1734-1797) qui voyagèrent en Italie. Les esquisses prises sur place leur permirent de réaliser des paysages de composition classique, lumineux et équilibrés, mais déjà imprégnés d'une atmosphère préromantique.
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(*) Nils Büttner, L'art des paysages, Éditions Citadelles et Mazenod.
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